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Violences intercommunautaires: des ministres envoyés en comédiens dans l’extrême-Nord

La délégation aura en charge la recherche des causes profondes du conflit récurrent

Wed, 15 Dec 2021 Source: Aurore Plus

Le gouvernement dispose, depuis des années, de rapports diagnostics ainsi que de propositions de solutions pour mettre un terme aux violences intercommunautaires récurrentes.

Ainsi donc, le président Paul Biya a décidé de l’envoi à Kousseri (Extrême-Nord) d’une mission gouvernementale, conduite par le ministre de l’Administration territoriale (Minat), Paul Atanga Nji. La délégation aura en charge la recherche des causes profondes du conflit récurrent entre Mousgoum (pêcheurs) et Arabes Choa (éleveurs) et de proposer des solutions durables à y apporter. Depuis le 5 décembre, les affrontements entre ces deux communautés ont, selon le bilan établi vendredi par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), fait au moins 22 morts, 30 blessés graves et plus de 30.000 réfugiés vers le Tchad voisin.

En fin de semaine dernière, le gouvernement camerounais, dans un communiqué signé de son porte-parole et ministre de la Communication (Mincom), René Emmanuel Sadi, a exprimé sa vive préoccupation face à une situation qualifiée de «regrettable». Le document indique par ailleurs que le chef de l’État, après avoir adressé ses condoléances les plus attristées aux familles des victimes et souhaité un prompt rétablissement aux blessés, a appelé à l’apaisement, à la retenue, au sens patriotique et au maintien du vivre-ensemble. Demandant qu’il soit mis fin à ces luttes fratricides, M. Biya a déjà dépêché sur place une mission humanitaire en vue d’apporter aide et assistance aux victimes et aux déplacés.

La réaction du pouvoir laisse, clairement, entendre qu’il est surpris par la montée des tensions entre Mousgoum et Arabes Choa. Et donc qu’il entend rechercher les causes profondes d’un conflit interethnique pourtant récurrent. Ironie de l’histoire – si on puits l’écrire -, en août derniers, ces frères ennemis s’étaient déjà affrontés.

La bataille avait alors, selon la radiotélévision à capitaux publics (Crtv), fait «12 morts et 48 blessés graves». «Il s’agit en réalité d’un problème foncier», avait alors déclaré le préfet du Logone-et-Chari„ Jean Lazare Ndongo Ndongo. Et le gouverneur Midjiyawa Bakari de renchérir : «Les pêcheurs ont l’habitude de faire des trous, de monter des digues pour retenir l’eau et le poisson. Mais il se trouve que, dans ces eaux, les éleveurs viennent également faire boire leurs troupeaux. Parfois, les bœufs tombent et périssent dans les trous.»

Voilà donc un diagnostic local qui devrait être suffisant, et appeler à une recherche rapide de solutions. On peut même affirmer, sans risque de se tromper, que le pouvoir dispose depuis de longues années – au moins depuis le début des années 90 – de plusieurs études suivies de préconisations, quant à la cohabitation tumultueuse entre ces ethnies. Et ces enquêtes aboutissent, presque toutes, aux mêmes résultats sur les origines de ces crises.

Crise climatique

Il apparaît ainsi que l’ouverture du pays à la compétition multipartiste a mis en avant le rôle prépondérant de l’ethnicité dans le jeu politique. En faisant de la communauté ethnique le cheval par lequel est revendiquée la redistribution ainsi qu’un instrument d’accumulation, certains groupes ethniques, à l’instar des Arabes Choa et des Mousgoum, dans le cas d’espèce, trouvent des voies d’affirmation dans un contexte local où leurs préoccupations sont restées longtemps secondaires.

«Les revendications des élites et des populations se concentrent pour l’essentiel sur la tribu avec la réduction des memoranda, l’affirmation de la légitimité des pouvoirs traditionnels non reconnus, la compétition d’accès aux ressources foncières ou la survenue d’un incident de fait divers constituent alors des facteurs de déclenchement de conflits», peut-on lire dans un des nombreux documents publiés sur la question.

Il apparaît aussi que les missions de bons offices des autorités, régulièrement descendues sur le terrain, ne sont pas structurées et permanentes, et sont initiées seulement après un conflit ouvert et n’ont, de ce fait, pas une vocation résolument préventive.

Pour revenir aux derniers événements, dans l’une de ses dernières alertes, le HCR, se disant «profondément préoccupé» par cette nouvelle montée de tension intercommunautaire, estime que c’est la crise climatique qui exacerbe les tensions dans l’Extrême-Nord. «Au cours des dernières décennies, la surface du lac Tchad dont le fleuve Logone est le principal affluent -a diminué de 95%. Les pêcheurs et les agriculteurs ont creusé de vastes tranchées pour retenir l’eau restante du fleuve afin de pouvoir pêcher et cultiver. Mais les tranchées boueuses piègent et parfois tuent le bétail appartenant aux éleveurs, ce qui provoque des tensions et des combats», a déclaré son porte-parole, Boris Cheshirkov.

Sans action urgente pour traiter les causes profondes de la crise, la situation pourrait s’aggraver davantage, avertit le HCR qui indique, … r ailleurs, avoir été contraint de suspendre ses opérations dans les zones affectées.

En début novembre le projet «LandCam», regroupant le Centre pour l’environnement et le développement (CED), le Réseau de lutte contre la faim (Relufa) et l’institut international pour l’environnement et le développement (IIED), avait pour sa part estimé que le rôle du gouvernement était essentiel pour identifier, reconnaître et promouvoir les initiatives communautaires en vue de «gérer ces conflits, plutôt que de dépendre uniquement de l’arbitrage des autorités administratives locales désignées».

Pour ces organisations non gouvernementales (ONG),., de telles initiatives locales devraient être ancrées sur la réconciliation et la collaboration entre les différentes communautés ethniques. De plus, ont-elles ajouté, la révision en cours de la loi foncière au Cameroun offre une opportunité en vue d’intégrer les mécanismes locaux de résolution des conflits afin que la terre et les ressources ne continuent pas à être une source perpétuelle de conflits pour les communautés qui les utilisent.

Voilà qui aurait dû être suffisant, pour passer à la médication. Le pouvoir, lui, préfère comme souvent organiser un cirque sur le théâtre des opérations. En attendant la prochaine montée de tension, d’autres discours rassurants, etc.

Source: Aurore Plus