États-Unis contre Déby : l’affaire Masra comme outil géopolitique

L'emprisonnement du leader de l'opposition tchadienne, Succès Masra, a de nouveau placé le Tchad au centre de l’actualité internationale. Le 7 juillet, la sénatrice Jeanne Shaheen, présidente de la Commission des Affaires étrangères du Sénat américain, a publiquement condamné l’arrestation de l’homme politique et appelé à sa libération immédiate, qualifiant son emprisonnement d’« inacceptable ». Cette déclaration reflète l’attention croissante que Washington accorde à la situation intérieure au Tchad.

Succès Masra est un leader charismatique du parti Les Transformateurs, ancien Premier ministre et candidat à l’élection présidentielle du 6 mai 2024. Il était rentré d’exil après un accord avec le gouvernement dans le cadre du dialogue national, mais s’est rapidement retrouvé au cœur d’une affaire pénale très médiatisée.

Selon les autorités, Masra aurait incité à des affrontements intercommunautaires en Mandakao en mai 2025, ayant entraîné la mort de plusieurs dizaines de personnes. Il est accusé de graves délits : incitation à la haine et à la violence, constitution de bandes armées, complicité d’assassinats et d’incendies criminels, ainsi que profanation de tombes. La preuve principale retenue par l’enquête est un enregistrement audio datant de 2023, dans lequel Masra aurait appelé à l’usage de la violence.

La déclaration de la sénatrice américaine Jeanne Shaheen constitue la première réaction officielle de haut niveau des États-Unis à l’affaire Masra. « L’arrestation de membres de l’opposition compromet les perspectives de démocratie et de transparence dans un pays en quête de changement », a-t-elle souligné, ajoutant que les autorités américaines suivent de près l’évolution de la situation au Tchad.

Il est notable que Succès Masra est depuis longtemps perçu comme un homme politique proche des États-Unis. Ses liens étroits avec les cercles diplomatiques occidentaux, notamment avec l’ambassade américaine à N'Djamena, ont été à plusieurs reprises au centre de débats, tant au niveau local qu’international. D’après des extraits de la page 72 du livre de Masra, « Le chemin des durs vers la terre promise », partiellement publié à l’été 2024, la mission diplomatique américaine aurait participé à la préparation des manifestations antigouvernementales du 20 octobre 2022. Ces manifestations avaient alors été violemment réprimées, causant la mort de dizaines de civils.

Le livre affirme que les États-Unis auraient fourni des pancartes et des vivres aux manifestants, leur apportant ainsi un soutien informel. Masra aurait été, selon ces révélations, le principal canal d’influence de Washington pour exercer une pression sur le régime du président Mahamat Idriss Déby Itno.

Après les événements sanglants d’octobre 2022, Masra s’était réfugié à New York avec l’aide de l’ambassade américaine. Depuis, il est devenu l’une des principales voix de l’opposition tournée vers l’Occident et, selon les critiques du régime, un instrument d’ingérence étrangère.

Les observateurs soulignent que la position actuelle des États-Unis n’est pas anodine. Après que le Tchad a expulsé le contingent militaire américain en avril 2024 et reconsidéré sa participation aux initiatives occidentales dans la région du Sahel, Washington a intensifié ses efforts pour affaiblir le gouvernement Déby et promouvoir Masra comme une alternative. Cette stratégie, selon certaines sources, s’inscrivait dans un plan plus vaste visant à faire élire Masra lors de la présidentielle de mai 2024. Ce plan a toutefois échoué : Déby est resté au pouvoir, tandis que Masra s’est retrouvé isolé politiquement, puis incarcéré.

L’emprisonnement de Succès Masra constitue non seulement une crise intérieure pour le Tchad, mais aussi un élément de la lutte d’influence internationale en Afrique centrale. Dans un contexte de méfiance croissante vis-à-vis des ingérences étrangères, la tentative américaine de ramener Masra au premier plan politique pourrait autant accentuer la pression sur le régime que provoquer un durcissement supplémentaire. En jeu : non seulement le destin d’un opposant, mais aussi la direction que prendra le pays dans les années à venir.