Au-delà de Boko Haram, la menace insidieuse du radicalisme religieux

PrierePhoto utilisée juste à titre d'illustration

Thu, 17 Sep 2015 Source: Hans de Marie Heungoup

L’image de havre de paix dans une région en proie aux conflits dont bénéficiait le Cameroun a volé en éclats depuis l’irruption de Boko Haram en 2013 au nord du pays. Ce mouvement, devenu l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest en mars 2015, revendique son affiliation à Daech. Néanmoins, l’apparition brutale et sanglante de ce djihadisme africain est moins liée à l’essor de Daech en Irak et en Syrie qu’aux bouleversements du paysage religieux de l’Afrique en général et du Cameroun en particulier.

L’islam traditionnel soufi recule sous la pression d’un islam rigoriste dont la forme la plus répandue est le wahhabisme. Les églises chrétiennes historiques perdent du terrain face à la concurrence des églises néo-pentecôtistes. Dans ce contexte de bouleversements religieux rapides, toute l’attention est focalisée sur le radicalisme visible, c’est-à-dire celui qui recourt au terrorisme. Pourtant, la pénétration de l’islam fondamentaliste et la popularité grandissante des églises de réveil érodent les fondations historiques de la coexistence religieuse au Cameroun et installent insidieusement les ferments de l’intolérance.

Boko Haram : le radicalisme visible

La relation entre le Cameroun et Boko Haram a connu trois phases : la phase de refuge, la phase de la confrontation ouverte avec les forces de sécurité et la phase du terrorisme. Les premiers indices de la présence de Boko Haram au Cameroun datent de 2004 : après les émeutes à Kanama au Nigeria puis la répression à l’encontre du mouvement, de nombreux membres se sont réfugiés dans les monts Mandaras camerounais. Bis repetita en 2009. Suite aux affrontements à Maiduguri, au nord-est du Nigeria, durant lesquels le fondateur du groupe, Mohamed Yusuf, est tué, plusieurs de ses cadres se réfugient à nouveau dans les monts Mandaras. Aboubakar Shekau prend la tête du groupe qui se radicalise.

Dès 2013, l’extrême nord passe d’une zone de transit à une zone d’opérations avec les kidnappings d’étrangers. En 2014, le groupe entre dans une logique de confrontation directe avec les forces armées, perpétrant plus de 150 attaques sur ces deux dernières années et causant la mort d’environ 70 soldats et des centaines de civils. A Kolofata le 26 juillet 2014, Boko Haram est même parvenu à enlever l’épouse du vice-premier ministre. Ces attaques ont créé un climat de paranoïa dans le nord au point que des journalistes et chercheurs sont régulièrement arrêtés.

À présent, Boko Haram frappe le Cameroun avec des attentats suicides comme au Nigeria et au Tchad. En juillet dernier, des attentats à Fotokol et Maroua ont fait une quarantaine de morts. La semaine dernière, Kerawa était frappé à son tour par un double attentat suicide qui a fait 19 morts et 141 blessés. Ces attentats et les arrestations de certains responsables – parmi lesquels des Camerounais – confirment la pénétration du salafisme djihadiste au Cameroun.

Le gouvernement a pris plusieurs mesures cet été pour renforcer le dispositif de sécurité mais certaines d’entre elles font d’ores et déjà polémiques. L’interdiction de la burqa est saluée par les principaux imams chiites et tijanites du pays, qui y trouvent un moyen de renforcer leur influence dans la communauté musulmane au détriment des wahhabites. Ces derniers critiquent cette mesure, d’autant plus qu’elle donne lieu à des abus des forces de sécurité : à l’extrême nord, Yaoundé et Douala, des femmes en burqa ou parfois en hijab (le voile simple) ont été harcelées dans les rues et certaines ont été dévêtues. Cette stigmatisation pourrait radicaliser une frange de la communauté wahhabite.

Les nouveaux courants religieux : le radicalisme invisible

Les attaques de Boko Haram au Cameroun se déroulent dans un environnement religieux en mutation rapide. Le sunnisme, le wahhabisme, le chiisme et d’autres courants islamiques se sont progressivement implantés ces trente dernières années et génèrent une compétition intra-religieuse inquiétante. Ces nouveaux courants sont populaires parmi les jeunes musulmans du Sud, tandis que l’islam soufi, incarné au nord par les Peuls, recule. Ces jeunes du sud, arabisés et souvent formés au Soudan et dans les pays du Golfe, contestent à la fois la domination politique et économique peul au sein de la communauté musulmane et l’ordre religieux soufi vieillissant.

La compétition entre les soufis et les adeptes du wahhabisme et du salafisme pour la direction de la communauté musulmane risque de s’accentuer et pourrait dégénérer en incidents locaux comme cela a déjà été le cas dans le passé. Au sein du christianisme, l’essor des églises de réveil a également brisé le monopole historique de l’église catholique et des églises protestantes. Souvent dépourvues d’existence légale, ces églises de réveil prêchent une forme d’intolérance religieuse et s’auto-excluent du dialogue interreligieux.

Bien que le Cameroun n’ait jamais été le théâtre de violences religieuses importantes, des poches de radicalisme en formation risquent de mettre en péril le climat de tolérance religieuse prévalant jusque-là. Paradoxalement les autorités politiques et religieuses du pays sous-estiment le potentiel conflictogène de ces transformations et se focalisent sur Boko Haram.

La lutte contre la menace du radicalisme religieux au Cameroun doit aller au-delà de la lutte antiterroriste : elle requiert aussi l’élaboration d’une stratégie cohérente, incluant l’étude des mutations religieuses actuelles, la réforme des écoles coraniques, la mise en place d’organes représentatifs de l’islam et des églises de réveil, et le développement des régions fragiles. Dans l’immédiat, le gouvernement doit éviter une approche exclusivement sécuritaire avec ses possibles excès, et rassembler toutes les confessions religieuses autour d’un nouveau pacte social, solidifié par la mise en place d’une charte de la tolérance religieuse.

Source: Hans de Marie Heungoup