Au sommet de l’une des collines de Yaoundé, la fourmillante capitale camerounaise, trône un immeuble de béton brut. Sur sa façade, cinq lettres bleues?: Cepca. L’acronyme du Conseil des Églises protestantes du Cameroun. Depuis 2005, cette institution s’efforce de fédérer les Églises protestantes « historiques ».
Historiquement en effet, le protestantisme est le premier christianisme arrivé dans le pays. Par vagues successives d’évangélisation, à partir du milieu du XIXe siècle, les missionnaires occidentaux ont façonné la géographie actuelle du protestantisme camerounais?: baptistes à l’ouest, luthériens au nord, mission américaine au sud…
La foi protestante dans les carrefours embouteillés
L’arrivée du protestantisme a bouleversé le visage de ce pays, que ses habitants aiment surnommer « l’Afrique en miniature » en raison de ses 200 ethnies et autant de langues. Chaque quartier de la capitale compte au moins un temple.
L’Université protestante d’Afrique centrale, à Yaoundé, fut la toute première université du pays. Dans sa faculté de théologie sont aujourd’hui formés de très nombreux pasteurs, mais aussi des étudiants catholiques et de futurs imams qui y suivent des cours d’islamologie.
Même l’hymne national a été composé dans une école protestante. Sur les carrefours embouteillés, la foi protestante s’affiche sur d’immenses panneaux publicitaires, interpellant l’automobiliste par un verset biblique.
Le protestantisme, deuxième religion du Cameroun
Pourtant, le protestantisme n’est plus la première religion du pays. Si le Cepca revendique 9,5 millions de fidèles – plus du tiers de la population –, les estimations officielles placent le protestantisme à 26 % de la population, derrière les catholiques (environ 40 %) et devant les musulmans (20 %).
Surtout, les Églises « historiques » subissent la concurrence agressive des Églises pentecôtistes. Ces communautés se multiplient et prospèrent en vantant les miracles spectaculaires opérés par leurs pasteurs, véritables gourous qui s’autoproclament « apôtres » et s’enrichissent sur le dos de fidèles exaltés. Mais leur discours, empli de promesses de faits extraordinaires et de réussite, fait mouche auprès d’une population démunie, et chez qui foi chrétienne et cultes traditionnels africains se mélangent.
Rassembler tout le monde dans une Église protestante unie
Face à ce phénomène, le pasteur Jonas Kemogne, secrétaire général du Cepca, porte un grand projet?: rassembler toutes les Églises dans une Église protestante unie du Cameroun, à l’horizon 2040. « Il faut se réorganiser, et faire en sorte que les chrétiens se réapproprient leurs œuvres, en soient fiers, explique le pasteur. Nous voulons que les protestants du Cameroun se sentent d’abord protestants, avant de se sentir appartenir à telle ou telle Église. D’autant que pour nous, ces appartenances ne sont pas un choix, mais la conséquence de la manière dont les missionnaires ont quadrillé le pays. »
L’ambition est de taille. Démesurée, à en croire certains, y compris dans les rangs protestants. « Il y a des particularités auxquelles les Églises ne voudront pas renoncer, par exemple les baptistes, qui pratiquent le baptême par immersion, estime un fin connaisseur du sujet. Mais ce qui est en jeu, c’est d’abord le pouvoir. Si un jour les Églises doivent fusionner, qui décidera de quelle Église viendront les premiers dirigeants de l’Église unie?? »
Des rivalités ethniques au sein des Églises
La question est épineuse. D’autant qu’au Cameroun, les élections à la tête des Églises sont, déjà, le théâtre régulier de conflits et de ruptures, sur fond de rivalités ethniques. Dernier exemple en date, celui de l’Église évangélique du Cameroun (EEC), paralysée depuis le printemps après l’élection d’un nouveau président que refusent de reconnaître les partisans de son prédécesseur. L’affaire est aujourd’hui devant les tribunaux.
« Les protestants ont trop laissé leurs Églises se tribaliser », confirme le père Étienne Etoundi Essama, chargé de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux pour le diocèse de Yaoundé. « Mais regardez en France?: une Église protestante unie, avant que cela arrive, qui y aurait cru?? », ajoute-t-il.
Jouer un rôle auprès des citoyens et des pouvoirs publics
« Le problème, c’est que ces rivalités à la tête de nos Églises nous affaiblissent aux yeux des pouvoirs publics », regrette John Essembe, un laïc baptiste qui travaille au Cepca depuis 27 ans. Car en matière sociale et politique, les protestants, qui ont été à l’origine des premières écoles et des premiers hôpitaux du pays, entendent continuer à jouer un rôle d’influence. En particulier à l’approche des élections de 2018, présidentielle notamment, que beaucoup annoncent tendues.
« Nous incitons les fidèles à aller s’inscrire, indique John Essembe. Comme beaucoup de Camerounais, ils se désintéressent massivement des élections. » La situation politique du pays – Paul Biya, au pouvoir depuis 1985, se présente à nouveau à sa propre succession – n’y est pas étrangère. « Nous préparons déjà un gros travail d’observation du processus électoral », assure John Essembe.
La crise anglophone divise l’Église du Cameroun
Comment célébrer les 500 ans de la Réforme au Cameroun??
En attendant ces échéances, les protestants du Cameroun viennent de lancer les célébrations des 500 ans de la Réforme, qui se prolongeront jusqu’en 2018. Comment, d’ailleurs, célèbre-t-on cinq cents ans du protestantisme, dans un pays où le christianisme n’est arrivé qu’il y a cent cinquante ans??
« Pour nous, Africains, les 500 ans de la Réforme, ce n’est pas commémorer la figure de Martin Luther, indique le pasteur Gustav Ebaï, presbytérien, directeur de la communication du Cepca. Ce qui compte, c’est de nous poser la question?: est-ce que nous travaillons toujours à annoncer le Christ autour de nous?? Est-ce que nous essayons de nous améliorer nous-mêmes, et d’œuvrer au développement de nos sociétés?? », martèle ce pasteur passionné, pourfendeur des cultes trop occidentalisés de certaines grandes églises dans lesquels, selon lui, les croyants africains ne se retrouvent pas. « Tant que nous ne faisons pas cela, nous ne sommes pas vraiment réformés. »