Dans une correspondance envoyée le 8 décembre dernier aux autorités françaises, le collectif diasporique Camerounais a sollicité l’intervention du président Emmanuel Macron pour la libération de Patrice Nganang.
L’écrivain Camerounais avait été arrêté à l’Aéroport de Douala le mercredi 6 décembre 2017 alors qu’il s’apprêtait à quitter le pays.
Ci-dessous l’intégralité du courrier :
A Son Excellence Monsieur Emmanuel Macron,
Président de la République Française
Palais de l’Elysée- Paris, France
Monsieur Le Président,
En ma qualité de président du Collectif Diasporique Camerounais, association de ressortissants camerounais de la diaspora basée en Afrique, en Europe et en Amérique, J’ai l’honneur d’en appeler à votre bienveillante sollicitude et à votre intervention expresse auprès des autorités du Cameroun, à la suite de l’enlèvement brutal de l’écrivain et professeur Patrice Nganang par les services secrets du régime au pouvoir au Cameroun, le mercredi 6 décembre 2017, en pleine phase d’embarquement à l’Aéroport de Douala.
Patrice Nganang, docteur en littérature germanique, Professeur de Littérature à New-York après avoir enseigné à Heidelberg en Allemagne, a été enlevé par les Forces Spéciales Camerounaises et conduit en un lieu de détention inconnu de sa famille, de ses amis et de ses avocats depuis lors. Il se préparait alors à s’envoler pour Harare au Zimbabwe, puis de là vers New York aux Etats-Unis, où il enseigne la littérature africaine et la littérature allemande.
En effet, l’écrivain camerounais Patrice Nganang, l’une des meilleures plumes de notre génération africaine, est connu pour son engagement en vue de l’instauration de l’Etat de droit au Cameroun et contre les violations répétées des droits humains par le régime du Président Paul Biya contre le peuple camerounais en général et les opposants politiques camerounais en particulier. Il est donc fort probable que le régime camerounais en veuille à Patrice Nganang en raison de son labeur de dénonciation de ses nombreux crimes et scandales de corruption depuis 1982.
Il convient par ailleurs de rappeler à votre attention que le régime au pouvoir au Cameroun en est ‘à une énième récidive, en matière d’enlèvements d’opposants politiques, d’intellectuels libres et d’artistes engagés, depuis son arrivée au pouvoir il y a 37 ans…
Monsieur le Président de la République,
Votre récente tournée africaine vous a vu promettre aux jeunes africains, aux sociétés civiles africaines, aux oppositions démocratiques africaines, un nouveau regard compréhensif – et non complaisant, bien sûr- de la France que vous dirigez, sur le bien-fondé de leurs luttes légitimes.
A vos côtés, lors de la rencontre d’Abidjan, entre l’Union Européenne et l’Union Africaine, se tenait pourtant et fort sagement le Président camerounais, M. Paul Biya, qui se trouve être ce 8 décembre 2017 le géolier de l’écrivain et professeur de renommée internationale, Patrice Nganang.
Or, comme vous le savez sans doute, Le Président Biya, qui a affirmé devant votre prédécesseur le Président François Hollande, que » ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut », s’apprête, à plus de 85 ans bientôt et après 37 années au pouvoir, à se faire reconduire machinalement à la tête de l’Etat du Cameroun dans des conditions de non-transparence et corruption avérées du régime qu’il conduit d’une main de fer depuis 1982.
La répression, les arrestations, les brutalités et les assassinats d’opposants politiques et d’intellectuels sont un fait récurrent à l’approche des échéances électorales dans ce pays. La représentation diplomatique française au Cameroun pourrait amplement vous en édifier, M. Le Président.
N’est-ce pas une occasion de donner un signal fort à Monsieur Biya, quant à votre volonté de voir la France coopérer essentiellement avec des régimes africains respectueux des droits humains fondamentaux? Le Peuple du Cameroun, la Société Civile, les Intellectuels libres, les artistes engagés du Cameroun observeront avec la plus grande attention votre attitude devant le défi de l’alternance générationnelle que tous les Peuples d’Afrique Francophone se doivent de réaliser, dans l’intelligence, la non-violence et la convergence des désirs d’avenir partagés, entre la France et l’Afrique.
Le philosophe de formation et l’esprit farouchement libre que vous êtes acceptera-t-il que vos collègues et compagnons générationnels africains, engagés dans l’animation de l’espace public et dans la construction de la relève politique de ce continent vigoureux, soient l’objet de kidnapping, de tortures physiques et psychologiques, d’emprisonnements arbitraires à tour de bras, voire de pures et simples liquidations physiques? Votre récente promesse de solidarité envers la jeunesse et les peuples d’Afrique est désormais concrètement mise à l’épreuve.
Je me permets donc de solliciter votre bienveillante intervention auprès du régime du Président Biya, afin que:
– La libération immédiate de l’écrivain-professeur Patrice Nganang soit effective
– Les reproches éventuels du régime Camerounais envers l’écrivain fassent l’objet d’un procès juste et équitable
-La sécurité (physique, psychologique et morale) de Patrice Nganang et de l’ensemble des acteurs intellectuels, culturels et associatifs de la société civile du Cameroun soit garantie, et le débat politique apaisé au Cameroun dans le cadre d’un processus de Transition non-violente vers l’Etat de droit requis pour le bien-être et l’union de nos populations.
Excellence M. Le Président de la République, M. Emmanuel Macron,
Cher confrère philosophe,
Au cœur de cette Normandie où j’enseigne, Alain soulignait autrefois:
« Nul n’a de pouvoir sur le jugement intérieur. Si l’on peut te forcer en plein jour de dire qu’il fait nuit, nul ne peut t’obliger à le penser. »
Avec l’écrivain et professeur Patrice Nganang, je fais partie de ces Africains d’Occident qui ont pris fait et cause pour la liberté, l’égalité et la fraternité humaines, ici comme ailleurs. Nous voudrions pouvoir compter sur vous, pour réussir à rassembler les espérances éparses dans le continent africain et cheminer ensemble pour de merveilleuses aurores communes.
L’Afrique mutilée, l’Afrique désespérée compte sur les bonnes volontés, en tous continents, qui voudront accompagner l’éclosion de ses plus beaux jours futurs. Cheminons donc! Hic Rhodus, hic saltus!
Restant à votre disposition pour la suite que vous voudrez bien réserver à cette sollicitation d’intervention urgente pour la cause de l’écrivain Patrice Nganang et des nouvelles forces citoyennes du Cameroun, je vous prie de croire en l’expression de ma profonde et réelle déférence.
Votre, très respectueusement
Et très cordialement,
Paris, le 8 décembre 2017
Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie
Docteur de l’Université Charles de Gaulle Lille 3
Président du Collectif Diasporique Camerounais