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Cameroun : Paul Chouta toujours dans le viseur de ses bourreaux

Paul Chouta

Mon, 11 Apr 2022 Source: Le Zénith Nº395

Le lanceur d’alerte est régulièrement au centre des agressions et autres embastillements propres à une société où soufflent les mauvais vents. Il faut sauver ce soldat du martyrât des ennemis de la liberté d’expression qui narguent le président de la République qui disait sur les antennes de RMC: «J’aimerais que l’on garde de moi, le souvenir de celui qui a apporté la démocratie et la prospérité au Cameroun».

La presse est en danger au Cameroun. Les atteintes à la liberté d’expression s’accumulent. Au train où vont les choses, l’on est en droit de penser que notre pays souffre d’un manque criard des lois chewing-gums. Loin d’être une arme de construction massive, il ressemble désormais à s’y méprendre à une grotte des horreurs où, pour pasticher le philosophe Spinoza, c’est «le règne des passions tristes (haine, intolérance, désespoir, appréhension…). Paul Chouta vit et d’autres vivent cet ‘’enfer ordinaire’’. Ce jeune camerounais, qui a 31 ans printemps, est un influenceur web, cyber journaliste officiant pour le célèbre site d’informations Camerounweb.com et, non moins, promoteur de la célébrissime plateforme «Le Tgv de l’info». Il est arrivé dans ce noble métier, dit-il par passion et pour l’amour qu’il voue à la profession de journaliste : «Un métier, précise-t-il, que j’ai appris sur le tas après plusieurs tentatives malheureuses d’accéder à l’École Supérieure des Sciences de l’Information et de la Communication (Esstic, Ndlr). Cette passion pour ce métier est fille de mon amour pour la défense de la dignité humaine. Il me vient à l’esprit dans une société où l’injustice a pignon sur rue à travers l’écriture et le journalisme, de dénoncer les abus exercés sur l’être humain et promouvoir les valeurs humaines. En clair, il me vient à l’idée de faire un journalisme engagé comme ce fut le cas avec Émile Zola dans le cadre de l’affaire Dreyfus«. Aujourd’hui, insiste-t-il, l’avènement des «Tic» a vu naître une nouvelle forme de journalisme que l’on qualifie de lanceur d’alerte et/ou d’influenceurs (web) dans une certaine mesure. «Ces deux syntagmes ont des définitions variées en fonction des sources ou références«. Pour la gouverne de tous, selon «Wikipédia», un lanceur d’alerte est toute personne, groupe ou institution qui, étant animé de bonnes intentions, agissant pour ce qu’il estime être le bien commun, l’intérêt public ou intérêt général et qui ayant connaissance d’un danger, d’un risque ou d’un scandale, adresse un signal d’alarme en espérant enclencher un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation collective.

Précarité et clochardisation

Déterminé à ne pas faire l’impasse sur la moindre question, Paul Chouta pose un regard sans complaisance sur les médias locaux. Pour lui, «La presse camerounaise aujourd’hui est à l’image du pays. C’est une presse, même s’il ne faut pas généraliser, en lambeaux. En lambeaux très certainement à cause de la précarité et de la clochardisation savamment orchestrée à des desseins politiques. C’est une presse funèbre, funeste et lugubre dans un environnement mortifère où exercer la liberté de presse peut vous coûter votre vie comme j’en ai échappé l’autre jour. Pour véritablement et librement exercer ce métier au Cameroun aujourd’hui, il faut s’armer de courage et remettre sa vie entre les mains de Dieu car, à tout moment, vous pouvez être arrêté, torturé ou tué. Je n’ai pas envie d’évoquer ici le cas de votre Directeur de Publication qui subit constamment des intimidations et autres menaces comme cela a été le cas récemment (sic)».

Ce jeune homme qui traverse actuellement une mauvaise passe, va plus loin, parlant de son sort : «Je me demande si j’ai encore une vie, car je suis un revenant. Il fallait être avec moi le 09 mars 2022, lorsque j’ai été enlevé, torturé et laissé pour mort pour comprendre ce que je veux dire. Si j’ai encore une vie, ce qu’elle ne m’appartient certainement plus car, lors de ma dernière agression, mes bourreaux m’ont dit que je ne suis pas caché et que, à preuve, les voilà qui sont en train de me tuer. Ils n’ont pas eu tort de le dire lorsqu’on sait que je suis à ma troisième agression. Sans oublier, les deux ans de prison que j’ai passés injustement et abusivement dans la prison centrale et principale de Yaoundé. Je tiens à préciser que la prison principale de Yaoundé est un pénitencier de haute sécurité rattachée à la présidence de la République. Aussi, il faut bien que je le dise, les différentes circonstances de mes agressions ont toujours été liées à mes articles de dénonciation ou d’investigations. J’ai toujours reçu des appels et autres messages et même des intimidations avant et après mes agressions. À écouter les paroles qu’ils me lancent au cours de ces agressions et au vu des appels et messages de menaces et intimidations, ils me reprochent de dire la vérité et de faire mon travail. Pour eux, je dois me taire (resic)«. Il poursuit dans le courroux : «Comme je l’ai dit plus haut, le mot «peur» ne suffit pas pour qualifier ce que je vis. Vous vous imaginez quelqu’un qui a subi trois agressions, a passé injustement deux ans de sa vie en prison et vient d’échapper à la mort? Le mot «peur» n’a pas de teneur sémantique pour qualifier cela. Je suis désormais un homme qui marche avec son cercueil. Tous les jours qui passent pour moi, tout peut arriver.» Le gouvernement aurait douché ses espoirs et autres espérances. « Pour être honnête, je ne compte véritablement plus sur les pouvoirs publics. Leurs attitudes face à tout ce que j’ai subi restent curieuses. Chaque fois que j’ai été agressé, j’ai toujours déposé des plaintes mais pas de suite. La dernière agression du 9 mars dernier, j’ai été entendu comme plaignant par le commandant de brigade de Nsimeyong. Il détient des preuves pouvant faire ouvrir une enquête véritable.»

«Bon Dieu»

Lorsqu’on lui demande s’il ne roule pas pour l’opposition, Paul Chouta répond invariablement et sans détours «Que signifie avoir un penchant pour l’opposition ? Lorsque l’on aura fini de m’expliquer cela, qu’on me dise s’il y a un crime à avoir un penchant pour l’opposition ? Est-ce un délit ? Quelle disposition légale réprime cela ? En quoi cela constitue une infraction ? Vous savez, au Cameroun aujourd’hui, lorsque vous ne partagez pas le même point de vue ou opinion avec certaines personnes ou classe, on vous catalogue d’appartenir à tel ou tel bord politique. Cela ne me surprend plus. J’assume mes positions dont j’en suis maître. Je n’accepterai jamais que quelqu’un soit le gendarme de mes opinions. Je suis par essence libre et la liberté est une valeur inaliénable et sacrée que Dieu a donnée à chaque être humain. Pour être plus clair, je suis un homme libre et je n’appartiens à personne, sauf au bon Dieu«. Et d’ajouter : «L’information que je voulais également faire passer, c’est qu’en dehors de moi, ma famille est fortement persécutée. Mon frère aîné a été, par exemple, séquestré pendant des heures dans les bureaux de la Délégation Générale à la Sureté Nationale (Dgsn, Ndlr) en mai 2020, alors que j’étais encore en prison. Il a dû fuir la ville de Yaoundé à cause de cela.«. Et de conclure un tantinet méditatif et testamentaire : «Je dirai tout simplement qu’à jamais dans le monde, on a embrigadé, ni enfermé encore moins tué des convictions. Même si je viens à mourir aujourd’hui, je demeurerai immortel, car je suis ravi aujourd’hui de savoir que plusieurs personnes épousent mon combat (…). Mon départ sera comme une graine qui meurt, pourrit et germe pour produire d’autres fruits. (resic)«.Comprenne qui pourra. Une véritable «bouteille à la mer» pour reprendre Alfred de Vigny, dans son célèbre ouvrage «Les destinées». Un tantinet médiatique et de façon testamentaire.

Source: Le Zénith Nº395