L'offensive juridique d'Issa Tchiroma Bakary ne s'arrête pas aux frontières du Cameroun. Selon des révélations exclusives de Jeune Afrique, l'opposant et son collectif d'avocats ont élaboré une stratégie juridique à trois niveaux : national, continental et mondial. L'objectif : transformer une crise électorale camerounaise en affaire internationale susceptible de mettre Paul Biya et son régime sous pression diplomatique maximale.
Cette stratégie d'internationalisation de la contestation électorale s'inspire directement de précédents africains, notamment celui du Gabonais Jean Ping après la présidentielle contestée de 2016. Mais Tchiroma Bakary semble vouloir aller plus loin, en multipliant les fronts juridiques pour maximiser l'impact politique.
La Commission africaine des droits de l'homme comme première cible
Jeune Afrique révèle que le collectif d'avocats envisage en priorité "un signalement d'atteintes aux droits humains devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, un organe de l'Union africaine". Ce choix n'est pas anodin : il s'agit d'une juridiction continentale que le Cameroun, membre de l'UA, ne peut ignorer sans conséquences diplomatiques.
Le média panafricain rappelle que cette même Commission avait été sollicitée par Jean Ping "après la présidentielle de 2016 au Gabon, lorsqu'il contestait la réélection d'Ali Bongo Ondimba". En se plaçant sur ce terrain, Tchiroma Bakary inscrit explicitement sa démarche dans la lignée des contestations postélectorales qui ont marqué l'Afrique centrale ces dernières années.
La saisine de cette Commission permettrait de faire examiner les violations présumées des droits humains dans un cadre africain, évitant ainsi l'accusation de "recours aux puissances occidentales" souvent brandie par les régimes autoritaires contre leurs opposants.
Au-delà du niveau continental, Jeune Afrique dévoile que l'équipe juridique de Tchiroma Bakary prévoit de saisir deux instances onusiennes : le Comité des droits de l'homme de l'ONU et le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire.
Concernant le Comité des droits de l'homme, les avocats "peuvent notamment lui fournir des informations en amont de ses examens périodiques sur le Cameroun", précise Jeune Afrique. Cette approche proactive vise à inscrire la crise postélectorale camerounaise dans les rapports officiels de l'ONU, créant ainsi une trace documentaire qui pourra être exploitée diplomatiquement.
Quant au Groupe de travail sur la détention arbitraire, Jeune Afrique souligne que cette instance "rend des avis qui ne sont pas contraignants, mais qui peuvent avoir un poids politique et diplomatique". Les juristes du collectif cherchent d'ailleurs à en démontrer l'efficacité en citant un précédent éthiopien.
Pour justifier le recours au Groupe de travail de l'ONU, les avocats de Tchiroma Bakary citent, selon Jeune Afrique, un cas d'école : celui du journaliste éthiopien Temesgen Desalegn. Le média explique que "le Groupe de travail de l'ONU a contribué en 2018 à la libération" de ce journaliste "emprisonné pour ses écrits critiques envers le gouvernement d'Addis-Abeba".
Les avocats de Desalegn "avaient obtenu en 2015 un avis concluant que sa détention violait le Pacte international relatif aux droits civils et politiques", détaille Jeune Afrique. Cet avis, bien que non contraignant juridiquement, avait créé une pression diplomatique suffisante pour aboutir à sa libération trois ans plus tard.
C'est exactement ce mécanisme que l'équipe de Tchiroma Bakary espère reproduire : obtenir des avis onusiens qui, sans forcer juridiquement Yaoundé à agir, rendraient politiquement coûteux le maintien de la répression.
La CPI : une saisine symbolique aux implications politiques majeures
L'aspect le plus audacieux de la stratégie révélée par Jeune Afrique concerne la Cour pénale internationale. L'opposant "compte d'ailleurs également se tourner vers la Cour pénale internationale (CPI), juridiction contestée, en particulier en Afrique, mais symbolique", indique le média.
Jeune Afrique précise immédiatement les limites juridiques de cette démarche : "Le Cameroun n'a pas ratifié le statut de Rome créant la CPI et cette dernière ne peut donc pas automatiquement exercer sa compétence sur le pays." Pourtant, cette saisine garde tout son intérêt politique.
Le média explique que "les avocats d'Issa Tchiroma Bakary peuvent travailler à la constitution d'un dossier collectif de victimes en vue d'une saisine du bureau du procureur de la Cour, via un système dit de 'communication d'information'". Cette procédure, même sans déboucher sur une enquête formelle, crée un précédent documentaire important.
Jeune Afrique révèle un élément crucial : même si "aucune investigation formelle ne peut être menée par la CPI" en l'absence de ratification du statut de Rome par le Cameroun, "l'information reste enregistrée et peut servir de base à une action politique et médiatique".
Le média cite un précédent significatif : "Plusieurs ONG de plaidoyer ont ainsi utilisé ce mécanisme par le passé pour mettre la pression sur le régime syrien de Bachar el-Assad, qui n'avait pourtant pas ratifié le statut de Rome."
Cette référence au cas syrien est révélatrice de l'ambition de Tchiroma Bakary : même sans perspective de poursuites pénales effectives, le simple dépôt d'informations à la CPI crée une stigmatisation internationale et alimente le narratif d'un régime répressif comparable aux pires dictatures du monde.
Washington déjà sensibilisé : premiers résultats tangibles
Jeune Afrique révèle que cette stratégie d'internationalisation porte déjà ses premiers fruits. Le média indique que "le 4 novembre, deux membres du Congrès américain, Jonathan L. Jackson et Sydney Kamlager-Dove, ont écrit au secrétaire d'État américain Marco Rubio pour exprimer leur inquiétude concernant la crise postélectorale au Cameroun".
Plus spectaculaire encore, Jeune Afrique rapporte que "le même jour, le sénateur Jim Risch, président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat américain, avait publié sur X un violent et très remarqué réquisitoire contre 'le régime corrompu de Biya', qui, selon lui, 'a organisé une mascarade de réélection'".
Ces prises de position au plus haut niveau politique américain, survenant à peine trois semaines après l'élection du 12 octobre, suggèrent que le travail de lobbying et de plaidoyer mené en parallèle des actions juridiques commence à produire des effets concrets.
Jeune Afrique souligne que "les différentes actions en justice à venir d'Issa Tchiroma Bakary visent également à supporter une action de plaidoyer auprès d'acteurs politiques et diplomatiques aptes à mettre la pression sur Yaoundé".
Cette dimension de plaidoyer est fondamentale : il ne s'agit pas seulement d'obtenir des décisions de justice, mais de construire un faisceau de rapports, d'avis, de communications officielles qui, cumulés, créent une narration internationale défavorable au régime Biya.
Le texte des congressmen américains, révélé par Jeune Afrique, "dénonce de présumées irrégularités électorales, la répression des opposants ou encore des arrestations arbitraires" et "appelle Washington à exiger de Yaoundé la libération des prisonniers politiques ou la promotion d'un dialogue politique inclusif".
La stratégie juridique et diplomatique déployée par Issa Tchiroma Bakary, telle que documentée par Jeune Afrique, pourrait faire école dans les contestations postélectorales africaines. En combinant actions judiciaires nationales, recours aux instances continentales, saisines onusiennes et lobbying auprès des capitales occidentales, l'opposant camerounais teste un modèle de contestation multidimensionnelle.
Ce modèle reconnaît une réalité : dans des contextes où les institutions nationales sont contrôlées par le pouvoir en place, l'internationalisation devient la seule voie pour créer une pression suffisante. Reste à savoir si cette pression sera assez forte pour infléchir la position d'un régime Biya habitué depuis des décennies à résister aux critiques internationales.