Le document adopté depuis le 04 juin confirme de fortes malversations financières et annonce, outre les procédures pour fautes de gestion, que 12 dossiers y relatifs devraient intéresser les juridictions pénales.
Le rapport final de l’audit de gestion des 180 milliards Fcfa mis à disposition par le gouvernement du Cameroun et ses partenaires pour lutter contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales fait le tour des réseaux sociaux depuis hier mercredi. En gros, ce document adopté depuis le 04 juin fait état de ce que le fonds spécial de solidarité nationale créé fin mars 2020 par le président de la République à cet effet a été faiblement piloté et a fait l’objet d’un fonctionnement dérogatoire. Il fait apparaître plusieurs cas de mauvaise pratiques et de détournements.
Notamment, un stock de médicaments introuvable, d’une valeur de 536,4 millions Fcfa issus de l’enveloppe de 1 milliard Fcfa décaissée au profit du ministère de la Santé publique (Minsante) – dont la gestion des marchés est jugée particulièrement opaque – pour l’acquisition des médicaments de prise en charge du Covid-19, en dehors de l’hydroxychloroquine et de l’azithro-mycine qui devaient être produits localement sous la responsabilité du ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation (Minresi).
L’un des plus gros scandales que révèle ce rapport a trait à la gestion des dépenses engagées pour l’achat des tests de dépistage en 2020. Loin des 24,5 milliards Fcfa supposément payés par le principal importateur, c’est seulement 9,125 milliards Fcfa qui auraient dû être déboursés par le trésor public. Le document fait ressortir une surfacturation d’un peu plus de 15,3 milliards Fcfa, sur un total des dépenses (tous prestataires confondus) chiffré à 25,8 milliards Fcfa.
Ces 15,3 milliards Fcfa de surfacturations ont profité au seul importateur Mediline Medical Cameroon S.A. Les enquêteurs notent que ce prestataire, bien qu’enregistré au registre du commerce du greffe du Tribunal de première instance (Tpi) de Yaoundé-centre administratif depuis le 13 septembre 2017, n’avait justifié d’aucune activité jusqu’en janvier 2020.
« Le solde de son relevé bancaire était égal à 0 Fcfa au 1 er janvier 2020, et les premiers mouvements sur son compte bancaire n’ont été enregistrés qu’à partir du 02 juin 2020, soit quelques jours avant la conclusion des premiers contrats avec le Minsante », commentent les auditeurs de la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun. Qui ajoutent que « le choix de cette entreprise inexpérimentée, au détriment de sociétés locales qualifiées, est d’autant plus étonnant que les prix finaux aux-quels l’opération a été traitée apparaissent déconnectés des prix du fournisseur et de ceux disponibles sur le marché ». –
Démarche tardive
A l’origine de ces malversations, la chambre pointe un manque de rigueur de la commission spéciale de validation des prix du ministère du Commerce (Mincommerce). « La procédure de validation du prix des tests par le Mincommerce, qui constitue une étape indispensable pour sécuriser les prix de la commande publique, a donné lieu à deux fichiers de validation signés du président de la commission spéciale […), établies à 06 mois d’intervalle, le 1er juin 2020 et le 12 janvier 2021.
La fiche de validation du 1er juin 2020 mentionne un prix unitaire de 17500 Fcfa qui s’applique au « kit de 25 tests par carton ». Le ministre de la Santé publique a demandé par courrier du 15 juin 2020 qu’il soit précisé si le prix unitaire s’appliquait au kit de 25 tests, ou à un seul test », rapporte la Chambre des comptes.
Qui juge surprenante « cette démarche tardive du Minsante », « puisqu’au moment de rédiger cette demande de précision, pourtant capitale, l’ordonnateur du Minsante avait déjà signé trois marchés les 19 juin et 15 juillet 2020 portant sur 900.000 tests au prix de 17500 Fcfa le test. Il en signera un quatrième au même prix le 16 décembre 2020, portant sur 500.000 tests, sans avoir reçu de réponse à sa demande de précision.
Ce n’est que le 12 janvier 2021 que le président de la commission adressera au ministre de Santé publique une deuxième fiche de validation qui remplace la mention « kit de 25 tests par carton » par la mention « kit tests », sans apporter de précision utile ».
Recommandations
Le rapport de la Chambre des comptes s’attarde également sur la vente controversée de 15000 tests de dépistage rapide par le ministre de (‘Administration territoriale (Minât), Paul Atanga Nji, au Minsante Manaouda Malachie. 288 millions Fcfa avaient été virés, dans le cadre de cette opération, au profit du ministère de (‘Administration territoriale sur un compte ad hoc ouvert dans les livres de Bgfi, mais dont les enquêteurs de la Cour suprême disent ignorer l’identité du titulaire.
L’opacité du profil des promoteurs de certaines entreprises attributaires de marchés a intrigué les auditeurs. « Sur343 entreprises attributaires, 96 ne figurent pas sur le fichier fournisseurs. Mais elles se sont vu attribuer des marchés dans le cadre du plan de riposte contre le Covid-19 », soulignent-ils. Les conclusions du rapport sont claires : les marchés passés dans le cadre des 22 activités soumises au contrôle de la Chambre des comptes, l’ont été dans « une grande opacité ».
Du reste, conformément à la loi n° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités publiques, la juridiction, outre les 30 recommandations formulées dans le but d’améliorer les performances du fonds spécial Covid-19, décidé de l’ouverture de 14 procédures pour faute de gestion.
Par ailleurs, en application de la loi n“ 2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour suprême et de celle n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, elle entend également ouvrir une procédure pour gestion de fait et transmettre au ministre de la Justice, 12 dossiers relatifs aux faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.