Prison centrale de Yaoundé au quartier Kondengui. Dimanche, 25 mars, est une journée consacrée aux visites des détenus, plus de 4000, qui espèrent accueillir un membre de leur famille. A l'entrée principale, une longue file. Des visiteurs sont là depuis la fin de la messe dite dans la grande cour de la prison. A plus d'un mètre de ce rang, se trouve une table. Elle sert de main courante aux gardiens de la prison.
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Il est 15h16. Ils sont plus d'une dizaine à obstruer l'entrée principale de cette maison d'arrêt. Certains gardes servent d'intermédiaires aux visiteurs n'ayant pas d'autorisation de visite délivrée par le parquet. Il faut montrer patte blanche pour accéder à la cour d'honneur de la prison, où se trouve le bureau du régisseur.
C'est à cet endroit que le visiteur se laisse fouiller avant la signature de son carnet de visite par le préposé à l'accueil au dernier check-point, lequel va marquer le numéro de son badge et la date d'entrée. Cette signature est payante et le prix varie entre 100 et 200 Fcfa.
Une fois dans la cour interne et loin des regards des gardes-prisonniers, c'est une autre paire de manches. Les détenus jouant le rôle d'intermédiaires forment une marée humaine autour du visiteur. Ici, tout se paye : renseignement, taxi (aller appeler un prisonnier), entre autres. Si l'un des détenus vous reconnaît, l'addition devient plus salée. Chacun utilise des astuces pour lui soutirer quelques pièces d'argent. Dans cet exercice, le plus chanceux va nous servir de guide pour une visite de circonstance dans les quartiers des nouvelles victimes de l'opération Epervier.
Visite
Le quartier 11 constitue la première escale de notre balade. Ce quartier n'est pas très distant de celui dénommé « Kosovo » et où se trouvent les prisonniers les plus dangereux. En traversant le couloir qui jouxte les deux quartiers, nous tombons sur une chapelle et une mosquée de fortune. A notre passage, un détenu d'obédience musulmane est sur le point d'achever sa prière. Ce dernier s'empresse de nous demander l'argent du savon. Face à lui, se trouvent trois bancs occupés par des prisonniers qui échangent avec leurs visiteurs. Une fois au quartier 11, Louis Max Ayina Ohandja, l'ex-secrétaire d'Etat auprès du ministre des Travaux publics chargé des routes, vêtu d'un polo de couleur bleue-nuit, devise avec quatre personnes dans la zone réservée aux visites.
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Nous le saluons au passage. Mais, ce dernier reste pratiquement de marbre. Arrivé au quartier 14 construit sur un bâtiment d'un niveau (R+1) et constitué de plusieurs chambres d'un certain luxe, c'est une autre ambiance. L'endroit est assez propre. Certains prisonniers se sont transformés en serviteurs des occupants des lieux. Lesquels sont entre autres les détenus de l'opération Epervier. Pendant que d'autres servent de guides aux visiteurs, une poignée d'entre eux sont en train de fixer un climatiseur sur le mur d'une chambre en plein travaux, sous le regard d'un garde en civil. Dans ce quartier, tout baigne vraiment dans un certain confort : deux écrans plasma câblés placardés au mur, une antenne parabolique et une table entourée de meubles haut-de-gamme.
Il est 16h 30 lorsque l'ancien ministre, secrétaire général de la présidence de la République, Jean Marie Atangana Mebara, vêtu d'un pantalon bleu et d'une chemise blanche, tout souriant, accompagne ses visiteurs. Une dame et trois enfants. Au même moment, Bruno Bekolo Ebe, en bras de chemise et Dieudonné Oyono, vêtu d'un jogging bleu-blanc, tous anciens recteurs de l'Université de Douala, reçoivent les leurs. L'un dans la cour et l'autre dans le réduit réservé à cet effet et où se trouve également Basile Atangana Kouna.
Assis dans un coin et habillé d'un pantalon jean et d'une chemise carrelée, l'ex-ministre de l'Eau et de l'Energie (Minee), entouré de quelques femmes, parmi lesquelles son épouse, ne s'est pas séparé de ses lunettes d'intellectuel. A cet endroit, chacun des détenus chuchote quasiment à l'oreille de ses visiteurs. Difficile de capter le contenu des conversations. Les mines détendues et visiblement sereines.
Quartiers
Pour mémoire, cette autre vague des détenus de l'opération Epervier a été conduite à la prison centrale de Yaoundé le mercredi 21 mars dernier. Elle était constituée de Jean William Sollo, ancien directeur général de Camwater, Bruno Bekolo Ebe, Dieudonné Oyono, Louis Max Ayina Ohandja ainsi que deux anciens responsables Camwater. Ils ont été déférés vers 23h. A la suite des formalités administratives au sein de la prison, ils auraient été transférés tous au même endroit pour y passer la nuit. C'est dans la journée du jeudi 22 mars qu'ils seront dispatchés dans les quartiers 1, 7, 11, 12 et 14.
C'est ce jour-là que l'ancien Minee est interpellé au Nigeria et ramené à Yaoundé à bord d'un vol spécial. Basile Atangana Kouna est déferré à Kondengui le vendredi 23 mars autour de 22h30. En à croire nos informateurs, l'ex-ministre y a débarqué, l'air épuisé et très abattu. Après les procédures d'usage, le régisseur le conduira au quartier 14.