Une enquête de Jeune Afrique révèle un système de prix artificiellement bas qui fait perdre des centaines de millions d'euros à l'État camerounais
L'État camerounais se fait spolier de centaines de millions d'euros chaque année sur l'exportation de son bois, révèle une enquête explosive de Jeune Afrique publiée ce 1er juillet 2025. Les mécanismes de cette hémorragie financière, dévoilés par le magazine panafricain, illustrent un système de prédation organisé au plus haut niveau.
L'enquête du magazine dévoile des chiffres saisissants : pour un mètre cube d'iroko scié, un acheteur français débourse jusqu'à 3 000 euros, tandis que la valeur officielle du même volume en grume est fixée à seulement 220 euros à Yaoundé. Un rapport de un à quatorze qui illustre l'ampleur de la spoliation.
Selon les révélations de Jeune Afrique, basées sur les statistiques des Nations unies, entre 2013 et 2018, le Vietnam a déclaré avoir importé du Cameroun 883 millions de dollars de bois, tandis que Yaoundé affirmait n'en avoir exporté que pour 476 millions sur la même période. Un écart de 407 millions de dollars qui pourrait cacher un commerce illégal de grumes.
L'investigation de Jeune Afrique révèle l'existence d'une "vraie liste" des barons du bois, différente des fichiers publics du ministère. Selon les sources du magazine, cette liste secrète contiendrait les noms de gradés de l'armée et de personnalités politiques qui n'apparaissent pas officiellement comme détenteurs de concessions.
Parmi les noms reconstitués par Jeune Afrique figurent Roger Nkodo Dang, député du RDPC et ancien dirigeant du Syndicat des exploitants forestiers, ainsi que Grégoire Mba Mba, sénateur du Sud et financier du RDPC pour la région du Littoral. Le magazine révèle également les activités de Jules Doret Ndongo, ministre des Forêts depuis 2018, dont plusieurs proches seraient actifs dans la transformation de grumes.
Jeune Afrique dévoile qu'une partie des services du ministère des Forêts font actuellement l'objet d'une discrète inspection du Contrôle supérieur de l'État (Consupe). Selon les sources du magazine, les auditeurs veulent notamment comprendre les écarts entre les déclarations d'exportations du Cameroun et les déclarations d'importations de certains pays asiatiques.
Cette inspection, révélée par l'enquête de Jeune Afrique, s'intéresse particulièrement au système des valeurs FOB (free on board) qui servent de base au calcul des taxes d'exportation. "Il peut y avoir un rapport de un à dix entre les valeurs FOB et les prix à l'international", explique un expert interrogé par le magazine.
L'enquête de Jeune Afrique met au jour les failles du système fiscal forestier. "Le problème, c'est que c'est un système déclaratif. On déclare une exportation en année 1, et on paie la taxe en année 2 ou 3. Or, au moment de payer, les sociétés camerounaises ont parfois fermé", révèle une source du secteur citée par le magazine.
Selon Jeune Afrique, ce système permet à des "fusibles" camerounais d'encaisser les profits avant de disparaître, laissant l'État sans recours. Les poursuites judiciaires restent exceptionnelles, note l'enquête.
Le magazine révèle également que le ministre Jules Doret Ndongo devait tenir en octobre 2024 une réunion avec des représentants du département de la Justice américain sur l'application du Lacey Act, une loi interdisant la vente de bois issu du commerce illégal. Selon Jeune Afrique, l'atelier a été annulé sous un prétexte administratif et n'a jamais été reprogrammé à Yaoundé.
Ces révélations de Jeune Afrique éclairent les mécanismes par lesquels l'une des principales richesses du Cameroun échappe au contrôle de l'État, alimentant des réseaux privés au détriment du développement national.