Un document administratif contredit ouvertement les conventions internationales sur les droits humains
Une note administrative du gouverneur du Littoral jette une lumière crue sur les conditions de détention des personnes arrêtées après la présidentielle du 12 octobre. Le document, révélé par Jeune Afrique, soulève de graves questions sur le respect des droits fondamentaux au Cameroun.
Dans une note datée du 26 octobre 2025, soit deux semaines après l'élection présidentielle, le gouverneur du Littoral Samuel Dieudonné Ivaha Diboua donne une instruction sidérante : les personnes interpellées "se prendront elles-mêmes en charge" durant leur garde à vue.
Cette directive, révélée exclusivement par Jeune Afrique, entre en contradiction flagrante avec les conventions internationales prohibant les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle signifie concrètement que l'État camerounais se décharge de toute responsabilité concernant l'alimentation, les soins médicaux et les besoins essentiels des détenus.
Les conséquences de cette note sont dramatiques. Jeune Afrique rapporte le cas édifiant d'un mineur de 17 ans, blessé par balle à la jambe lors des manifestations. "Il a passé trois jours en prison sans le moindre soin", témoigne Me Alain Ndam, avocat du collectif Défense citoyenne, interrogé par le magazine panafricain.
La première prise en charge médicale n'a été assurée que trois jours après son arrivée à la prison de Pk19, et non par l'administration pénitentiaire, mais par une association médicale intervenant à titre humanitaire. "Et ils sont nombreux dans cette situation", précise l'avocat.
Cette politique d'abandon des détenus a trouvé son illustration la plus tragique avec la mort d'Anicet Ekane, décédé en détention le 1er décembre. Selon les informations de Jeune Afrique, l'opposant camerounais, pourtant malade, a été privé de son extracteur d'oxygène pendant près d'un mois.
Arrêté pour avoir cosigné un communiqué félicitant Issa Tchiroma Bakary, Ekane était poursuivi pour incitation à la révolte, hostilité contre la patrie, révolution et appel à l'insurrection, des accusations passibles de la peine de mort. Il n'aura jamais eu l'occasion de se défendre devant un tribunal.
Jeune Afrique révèle que nombre de détenus n'ont jamais participé aux manifestations. Il s'agit notamment de soutiens politiques du leader du FSNC, interpellés à leur domicile ou lors de passages routiniers dans des commissariats.
Outre Anicet Ekane, son camarade de l'Union pour le changement (UPC) Djeukam Tchameni a été arrêté le même jour à son domicile. Jean Calvin Aba'a Oyono, Florence Titchio et Yerima Halilou ont subi le même sort. Tous sont des figures connues de l'opposition camerounaise.
Me Alain Ndam, contacté par Jeune Afrique, dresse un tableau accablant de la situation à Douala : "Les responsables des prisons transportaient des contingents entiers de détenus vers le tribunal militaire. Beaucoup n'ont pourtant rien à y faire, comme les mineurs ou ceux dont les charges ne relèvent pas de cette juridiction. C'est un désordre total, qui exaspère même les responsables du tribunal militaire."
Cette confusion administrative aggrave encore les conditions de détention. Des mineurs se retrouvent mêlés à des adultes, des civils sont jugés par des tribunaux militaires, des malades sont privés de soins.
La disparition d'Anicet Ekane a provoqué une onde de choc dans le pays et au-delà. Elle a relancé le débat sur le traitement infligé aux détenus de la crise postélectorale et mis en lumière les dysfonctionnements d'un système carcéral débordé.
La note du gouverneur du Littoral, révélée par Jeune Afrique, apparaît désormais comme la pièce à conviction d'une politique délibérée d'abandon des détenus, en violation des engagements internationaux du Cameroun en matière de droits humains.
Deux mois après la présidentielle, près de 1 900 personnes continuent de subir ces conditions de détention, dans l'attente d'un hypothétique jugement ou d'une libération qui pourrait, selon Jeune Afrique, coûter jusqu'à 500 000 francs CFA à leurs familles.