Tracts alarmistes, menaces nocturnes et violences : les coulisses d'une opération de déstabilisation
Comment paralyser une région entière sans disposer d'une structure militaire organisée ? L'enquête exclusive de Jeune Afrique, publiée le 17 décembre 2025, lève le voile sur les méthodes d'intimidation employées par les partisans d'Issa Tchiroma Bakary pour imposer les « villes mortes » dans le nord du Cameroun.
Tout commence par un document aux allures officielles. Jeune Afrique révèle avoir obtenu, dès le 1er novembre, « un document bariolé de couleurs vives, estampillé 'urgence nationale' et siglé 'Révolution camerounaise' », surmonté d'un drapeau du Cameroun. Ce tract, « largement diffusé dans le nord du pays par des individus se réclamant du camp d'Issa Tchiroma Bakary », adopte « un ton autoritaire destiné à susciter l'obéissance ».
Le magazine décrit le contenu de ces tracts : consignes de suspension « immédiate de toutes les activités scolaires et universitaires à compter du 3 novembre 2025 », fermeture « de l'ensemble des établissements jusqu'à nouvel ordre ». Plus inquiétant encore, les parents sont « sommés de garder leurs enfants à domicile car 'les rues ne sont plus sûres' », avertit l'autoproclamée « brigade révolutionnaire ».
L'investigation de Jeune Afrique révèle que ces menaces ne sont pas vaines. Des habitants de Ngaoundéré, interrogés par le magazine, confient : « Si les gens ne [les] respectent pas, la nuit, ils brûlent leur moto ou leur commerce. »
Cette stratégie nocturne de représailles vise directement les biens économiques des contrevenants, transformant la peur de pertes matérielles en instrument de contrôle social. Les motos, qui « assurent près de 70 % des déplacements urbains à Ngaoundéré » selon Jeune Afrique, deviennent des cibles privilégiées, tout comme les commerces.
Le magazine rapporte également des cas de violences létales. À Ngaoundéré, un témoignage glaçant recueilli par l'envoyé spécial Yves Plumey Bobo révèle qu'« un moto-taximan s'est approché des barricades malgré les sommations de la police et a été abattu sur-le-champ ».
Jeune Afrique décrit également les « affrontements violents entre forces de l'ordre et partisans de Tchiroma » qui ont eu lieu au « carrefour 140, axe stratégique » de la ville, deux jours avant l'arrivée du journaliste. Depuis, les forces de sécurité occupent massivement la zone.
Face à cette menace, Jeune Afrique constate un renforcement spectaculaire du dispositif policier et militaire. À Ngaoundéré, « autour du commissariat central, situé à une dizaine de kilomètres de la gare, la sécurité est renforcée ». Plus impressionnant encore, « le plus grand commissariat de la ville est entièrement barricadé et gardé par des policiers lourdement armés », décrit le magazine.
Cette militarisation de l'espace urbain crée « une ambiance de siège et de crise postélectorale », observe Jeune Afrique. Les policiers et gendarmes « occupent en permanence les bistrots voisins, sous étroite surveillance », illustrant la tension permanente qui règne dans la ville.
L'enquête de Jeune Afrique soulève également des questions sur d'éventuels sabotages. Le 2 novembre, le train Yaoundé-Ngaoundéré est subitement annulé. Camrail invoque « un 'déraillement', sans préciser ni le lieu ni l'ampleur des dégâts », rapporte le magazine.
Cette annonce survient précisément la veille du premier jour de « villes mortes ». « Simple coïncidence ou sabotage ? » interroge Jeune Afrique, notant que « le chef de gare est en colère ». Plus révélateur encore, le magazine observe qu'« à une table voisine du bistrot où nous sommes installés, le commissaire de sécurité publique quitte brusquement les lieux ». Un bagagiste commente la scène : « Quand le commissaire s'inquiète comme ça, c'est que la situation est grave. »
L'une des révélations les plus troublantes de Jeune Afrique concerne l'instrumentalisation de la jeunesse. Près d'une piscine de Ngaoundéré, le magazine décrit une scène surréaliste : « Des adolescents profitent de l'absence de cours dans leurs écoles pour nager. Ils dansent, aussi, au rythme d'un hymne à la gloire de Tchiroma Bakary. »
Ces jeunes, note le journaliste, « sans doute ne le savent pas, mais celui-ci a déjà quitté le pays depuis des jours ». Cette observation illustre le paradoxe d'une mobilisation qui se poursuit alors même que son leader est en exil.
Jeune Afrique révèle en effet qu'« alors que son opération 'villes mortes' ralentit le Cameroun et met sur les dents les autorités, l'opposant a pris la direction du Nigeria puis de la Gambie ». Le magazine précise que Tchiroma Bakary « y vit désormais en exil, fourbissant ses armes et mettant au point ses plans pour garder en vie la contestation née de la présidentielle du 12 octobre ».
Cette capacité à diriger une opération de déstabilisation depuis l'étranger démontre, selon l'analyse de Jeune Afrique, l'existence d'un réseau organisé capable de relayer les consignes et de les faire respecter par l'intimidation.
L'enquête dresse le portrait de régions plongées dans « une atmosphère de peur et d'incertitude ». À Ngaoundéré, les proches de l'envoyé spécial « n'ont pas osé se déplacer pour venir [le] chercher, par crainte de la 'brigade révolutionnaire' chargée de sanctionner les contrevenants ».
Cette peur généralisée transforme le quotidien : « La ville est méconnaissable », constate Jeune Afrique. Les habitants adaptent leurs comportements, les commerçants ferment leurs échoppes, les transporteurs cessent leurs activités.
Jeune Afrique conclut son enquête sur une interrogation : « Ces 3 et 4 novembre, le Septentrion camerounais lui avait répondu, se mettant au ralenti. Reste à savoir s'il prendra de nouveau ce risque au fil des mois. »
Cette question souligne l'efficacité redoutable d'une méthode qui, sans moyens militaires conventionnels, parvient à paralyser des régions entières par la seule force de l'intimidation et de la peur. Une technique qui pourrait inspirer d'autres mouvements de contestation au Cameroun et au-delà.