Jeune Afrique révèle l'ampleur des pertes financières et la stratégie d'essoufflement du régime par l'opposition
Yaoundé – Derrière les images de marchés fermés et de rues désertes se cache une réalité économique alarmante. Les opérations « villes mortes » lancées par le camp d'Issa Tchiroma Bakary début novembre 2025 ont infligé des pertes considérables à l'économie camerounaise, révèle une enquête exclusive de Jeune Afrique publiée ce 17 décembre.
Selon les informations recueillies par Jeune Afrique auprès de sources proches de l'administration, l'État camerounais « encaisserait des pertes économiques » substantielles depuis le début des contestations postélectorales. À Douala, capitale économique du pays, l'impact est particulièrement brutal : marchés paralysés, boutiques fermées, transports perturbés.
Le magazine panafricain révèle que « la hausse des prix atteindrait 10 % à 25 % pour certains produits de première nécessité ». Une inflation galopante qui touche directement le pouvoir d'achat des ménages camerounais, déjà fragilisés par un contexte économique difficile.
Loin d'être un dommage collatéral, cette pression économique constitue le cœur de la stratégie de l'opposition, comme le confie à Jeune Afrique une proche de Tchiroma Bakary : « Avec les villes mortes, nous comptons essouffler ce régime. »
Cette guerre économique s'inscrit dans une logique d'asphyxie progressive du pouvoir en place. En paralysant l'activité commerciale dans des régions clés, notamment le Septentrion et Douala, l'opposition vise à tarir les sources de revenus de l'État et à démontrer sa capacité de nuisance.
Les enquêteurs de Jeune Afrique ont constaté sur le terrain les effets concrets de cette paralysie. À Yaoundé, dans le quartier de Tsinga identifié comme un point de mobilisation pro-Tchiroma, « le vendeur de soya, originaire du Nord, n'est pas à son poste ». Ce commerçant qui, la veille encore, « écoulait ses brochettes à 100 francs CFA, quand ailleurs les prix ont doublé », illustre la vulnérabilité du secteur informel face à ces mouvements de contestation.
À Ngaoundéré, le magazine décrit des scènes impressionnantes : « Le grand comme le petit marché sont entièrement fermés. » Cette fermeture totale des espaces commerciaux, cœur battant de l'économie locale, représente un manque à gagner considérable pour des milliers de petits commerçants.
L'un des secteurs les plus touchés reste le transport. Jeune Afrique rapporte que la compagnie ferroviaire Camrail a été contrainte d'annuler des liaisons, invoquant officiellement un « déraillement » sans préciser « ni le lieu ni l'ampleur des dégâts ». Une version contestée par les partisans de Tchiroma qui y voient la preuve que « Camrail respecte les villes mortes », ce que la compagnie dément.
À Ngaoundéré, ville stratégique du Nord, les motos-taxis qui « assurent près de 70 % des déplacements urbains » sont « presque absentes », poursuit le magazine. Cette paralysie des transports urbains affecte directement l'activité économique et la mobilité des populations.
Jeune Afrique révèle également les méthodes d'intimidation employées pour faire respecter les consignes : « Si les gens ne [les] respectent pas, la nuit, ils brûlent leur moto ou leur commerce », confient certains habitants au journaliste Yves Plumey Bobo, envoyé spécial du magazine.
Cette stratégie de la terreur économique vise à contraindre commerçants et transporteurs à la fermeture, transformant la peur en outil de mobilisation. Les pertes matérielles s'ajoutent ainsi aux pertes de revenus, créant un climat d'insécurité économique généralisé.
Pour les observateurs interrogés par Jeune Afrique, ces opérations rappellent les débuts de la crise anglophone. « La crise anglophone a commencé comme ça », avertit un interlocuteur cité par le magazine, suggérant que ces « villes mortes » pourraient n'être que les prémices d'une contestation durable.
Cette comparaison n'est pas anodine : la crise anglophone a coûté des milliards de francs CFA à l'économie camerounaise et continue de peser sur la croissance du pays. Si le Septentrion devait connaître une évolution similaire, les conséquences économiques seraient catastrophiques.
L'enquête de Jeune Afrique démontre que l'opposition dispose désormais d'un levier redoutable pour déstabiliser le pouvoir. En touchant directement aux intérêts économiques de l'État et en perturbant la vie quotidienne des citoyens, les « villes mortes » créent une pression multiforme : financière, sociale et politique.
Reste à savoir si le régime de Paul Biya pourra encaisser durablement ces pertes économiques et si l'opposition, malgré l'exil de son leader, parviendra à maintenir cette pression dans la durée. Une chose est certaine selon Jeune Afrique : le 3 et 4 novembre, « le Septentrion camerounais lui avait répondu, se mettant au ralenti. »