Jean Pierre Amou Belinga a commencé au bas de l’échelle. Lui-même l’a confirmé à plusieurs reprises. Il se fera une première réputation dans la presse avec l’Anecdote suite à la publication des hommes homosexuels dans le sérail.
Après la publication de cette liste, c’était la débandade totale. Les journalistes de l’Anecdote étaient devenus des cibles potentiels des mis en cause. Mais, Jean Pierre Amougou Belinga a réussi à trouver une protection à ses journalistes. C’est ce qui ressort d’un article du journal LIBERATION que nous vous proposons.
Cameroun : la presse voit des homos partout
Assis dans son petit bureau, installé sur une des collines qui entourent la capitale camerounaise, Jean-Pierre Amougou Belinga fait partie de ceux qui ont récemment découvert le filon des «homos» dénoncés et l'exploite à fond. Il y a trois semaines, son hebdomadaire, l'Anecdote, jusqu'ici quasi inconnu, a publié un «Top 50 des homosexuels présumés du Cameroun». Au menu : des ministres, des hauts fonctionnaires, des hommes d'affaires, des évêques, des musiciens, des sportifs et même... des morts ! Depuis, ce journal bat tous les records de vente : le dernier numéro a été imprimé à 40 000 exemplaires, contre 6 000 pour les quotidiens les plus lus. Lorsque les stocks sont épuisés, les photocopieuses prennent le relais des rotatives. Et les copies se monnayent à un tarif parfois vingt fois plus élevé que l'original.
Déontologie. Si les trois quotidiens privés nationaux ont condamné le manque de déontologie de l'Anecdote, plusieurs autres publications n'ont pas eu ces pudeurs : «Voici les pédés de chez nous», «l'épouse d'un ministre homosexuel en larmes»... Chaque jour, un journal s'épanche sur le sujet.
Les victimes de ces dénonciations commencent à saisir la justice. Hier, le tribunal de Yaoundé a enregistré les plaintes en diffamation de cinq ministres ou ex-ministres, dont celle de l'ex-secrétaire général de l'Organisation de l'Union africaine (OUA) William Eteki Mboumoua. Dans la presse, un haut fonctionnaire se défend : «Je ne suis pas homosexuel, je ne l'ai jamais été et je n'envisage pas de l'être. Ceci par éducation, culture, conviction personnelle, philosophique et religieuse.» Son indignation est à la mesure de ce que représente l'homosexualité au Cameroun : interdite et passible de cinq ans d'emprisonnement. Mal connue surtout, elle est considérée au mieux comme une «déviance» venue d'Occident, au pire comme une ignominie dont on ne parle pas. «J'ai des amis qui sont homos. Mais comme je ne peux pas leur dire que je le sais, ils continuent à vivre avec leur secret devant moi. A la fac, un de mes meilleurs potes était homo. Je l'ai su bien après, grâce à celle qui faisait semblant d'être sa copine et qui elle-même est lesbienne», témoigne un jeune Camerounais.
En réalité, davantage que la question de l'homosexualité, ce sont les rumeurs circulant depuis une dizaine d'années qui tiennent aujourd'hui les lecteurs en haleine : «Ce que nous dénonçons, ce n'est pas l'homosexualité en tant que telle, mais l'usage de pratiques homosexuelles auxquelles sont obligés de se soumettre ceux qui veulent entrer dans des écoles, ou accéder à un poste de responsabilité», tente de se justifier le patron de l'Anecdote. Selon lui, le pays serait entre les mains de «cercles homosexuels sataniques» . «Ce qu'on dit tout haut aujourd'hui, on le chuchotait depuis longtemps. Tout le monde savait que si untel avait eu un poste, ce n'était pas pour ses éventuelles compétences, mais pour autre chose», commente, dégoûtée, Catherine, agent de santé dans un hôpital de Yaoundé.
Réalité ou fantasme ? Cette affaire révèle le profond désarroi de la société camerounaise. Confronté depuis vingt ans à une crise économique et sociale, gangrené par la corruption, gouverné par un régime qui semble inamovible (le président Paul Biya est au pouvoir depuis 1982), le pays est mal en point. Les mécanismes de la mobilité sociale sont en panne, et les modalités de promotion apparaissent de plus en plus obscures pour le citoyen ordinaire.
Fantasmes. Dès lors, ceux qui réussissent sont, aux yeux des autres, forcément passés par une compromission honteuse. «Les fantasmes sur l'homosexualité qui ressortent aujourd'hui succèdent aux rumeurs et aux pouvoirs prêtés à des réseaux ésotériques au Cameroun, explique Fred Eboko, un politologue. Ils traduisent les questions sans réponse des Camerounais sur leur avenir et la manière avec laquelle ils peuvent progresser et élever leurs enfants.» Selon certains analystes, cette effervescence s'expliquerait aussi par des règlements de comptes au sein du régime, dans la perspective de la succession du président Biya. Depuis la publication des listes , les journalistes de l'Anecdote bénéficient d'une protection policière.