Adulés par le passé, ils sont progressivement rentrés dans l’ombre en privilégiant leurs intérêts personnels, laissant sur le chemin des populations qui ont cru en eux et ont reposé leur espoir entre leurs mains.
Paul Biya, le renouveau vieilli
1982, les populations camerounaises sont en liesse, avec l’arrivée au pouvoir du président Paul Biya. L’homme au visage candide et au discours moralisateur séduit rapidement les masses, qui lui donnent le bon dieu sans confession. Cette locution verbale veut dire « faire facilement confiance à une personne, sur la base de son apparence extérieure. » Le nouveau président entame une tournée nationale, et effectivement les populations n’ont pas besoin d’aller au-delà de son apparence extérieure pour lui faire confiance, la simple vue suffit, il incarne la nouveauté, qu’il traduit dans son discours par le Renouveau. De tous les coins du pays, les chefs traditionnels lui donnent les attributs de la royauté, et lors de cette tournée, les élites locales n’ont pas besoin de mobiliser des militants contre pain et sardine pour se masser le long des routes, le mouvement est spontanée, la police est à l’inverse mobilisée pour contenir les masses, qui n’ont pas besoin d’arborer la tenue du parti. Tout le monde est concerné par le nouveau souffle qui traverse le pays, chacun veut voir de ses propres yeux ce nouveau prodige qui vient décrisper une atmosphère lourde de suspicion et de subversion. Le parti politique ne compte pas, auquel appartient d’ailleurs tout le monde, on est encore à l’époque du parti unique. 9 ans après, en 1991, le mariage a déjà pris un coup, les populations sont dans la rue cette fois pas pour continuer à aduler leur président, mais pour demander son départ, l’illusion a été de courte durée. Quelles que soient les raisons de la rupture, elle est consommée. L’homme prodige se mure désormais dans son palais ou est tout le temps parti, au point d’être qualifié de vacancier au pouvoir. Il développe le mutisme et le mysticisme, qui susciteront une thèse de doctorat sur le mutisme présidentiel. Le seul souci de l’homme du renouveau est désormais la conservation du pouvoir, stratégie qu’il assume publiquement en affirmant en juillet 2015 devant le président français François Hollande que « ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut »
Fru Ndi, la souffrance n’est pas finie
En 1990, alors que le désamour grandit entre le peuple et Paul Biya, John Fru Ndi se révèle. Poing levé et fermé en guise de puissance, il brave l’armée le 26 mai 1990 à Bamenda pour lancer le Social democratic front, en promettant que la souffrance est finie et que Paul Biya « must go. » La vie s’arrête dans les villes qu’il traverse quand il voyage, les espoirs sont désormais reposés sur lui, il incarne le changement. Mais il boycotte les élections locales de 1992, pour se présenter quand même à l’élection présidentielle de la même année. Pensait-il à lui-même ou au peuple et ses représentants ? Toujours est-il que le temps a eu raison de lui, les espoirs ont également été déçus. La dernière actualité au sein du parti indique que la conservation du pouvoir a aussi été le dessein caché de l’homme. Un cliché parmi tant d’autres renseigne à suffire. 32 cadres du partis exclus pour avoir osé lui demander des comptes, et Moustapha Ngouana, l’un des cadres exclus explique que l’idée de renouveler les organes de base du parti dans le département du Ndé, a été balayée d’un revers de la main par Ni John Fru Ndi au cours d’une réunion du comité exécutif du parti, aux motifs que quand il est malade c’est Niat qui le soigne. Explication, le département du Ndé est le fief politique de Marcel Niat Njifendji, le président du Sénat, et ce dernier est l’un de ses bienfaiteurs. Et il n’est pas question que les organes de base du Sdf soient renouvelés ici pour permettre à un militant charismatique du Sdf de se révéler et surtout de mettre en difficulté le Rdpc sur le terrain. Cela peut vouloir dire que l’actuel responsable local du parti est déjà dans le jeu et il vaudrait mieux que les choses restent ainsi. Dans une correspondance adressée à Louis Marie Kadeu récemment copté au directoire du parti par John Fru Ndi et qu’il défend bec et ongles, l’avocat dit : « Au-delà de l’impéritie, il y a une volonté résolue de plaire à des personnes tapies au cœur du pouvoir. La fin est proche et des langues se délient à mon grand désarroi et au détriment des honnêtes gens qui ont cru à cette formation politique qui s’est transformée en fossoyeur d’espoir et destructrice d’avenir. La compromission de ton client et tous ceux qui l’entourent est depuis belle lurette assumée, arrêtons de nous voiler la face. »
Ils se sont servi du peuple comme marche pieds pour atteindre leurs objectifs, se faire remarquer, gagner en notoriété pour s’éterniser au pouvoir pour l’un et mieux monter les enchères dans la négociation des prébendes pour les autres.
Bello Bouba Maïgari, on se la coule douce
Un autre homme qui incarne l’espoir déçu d’un peuple, c’est Bello Bouba Maïgari, ministre du Tourisme et surtout président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès. Il débarque le 17 août 1991 du Nigéria où il était en exil depuis la chasse à l’homme provoquée par le coup d’Etat du 4 avril 1984, et évince dans les mois qui suivent feu Samuel Eboua de la tête du parti qu’il a fondé en son absence et qu’il a positionné comme un parti nordiste regroupant les fidèles de l’ancien président Ahmadou Ahidjo. Le peuple l’adule également, fonde l’espoir sur lui pour récupérer un pouvoir duquel il a été chassé comme un malpropre. Mais avec le temps aussi, Bello Bouba prend langue avec le parti au pouvoir et se sécurise une place au gouvernement, où il est encore ministre d’Etat ministre du Tourisme et des loisirs. Après 30 ans de présidence de son parti, il a été reconduit pour un mandat de 5 ans lors du congrès tenu à Yaoundé du 5 au 6 mars 2022 ; il s’est aménagé une place douillette, laissant le peuple derrière.
Trois noms, trois trajectoires, la même déception pour le peuple. Avec Paul Biya le renouveau a vieilli, avec Fru Ndi, la souffrance n’est pas finie, avec Bello Bouba le pouvoir pour le peuple s’est éloigné. Ils se sont servi du peuple comme marche pieds pour atteindre leurs objectifs, se faire remarquer, gagner en notoriété pour s’éterniser au pouvoir pour l’un et mieux monter les enchères dans la négociation des prébendes pour les autres. Et ce peuple dans tout cela, abandonné à ses illusions. 2018 a vu l’entrée en scène de Maurice Kamto et Cabral Libi’i. Mais ces derniers seraient-ils sur la même voie, le sort du peuple est-il scellé ?
(A suivre)
Roland TSAPI