À 79 ans, l'ancien ministre de la Communication du régime Biya livre un témoignage bouleversant sur sa rupture politique. Dans une interview poignante relayée par Ousmanou Magadji, Issa Tchiroma Bakary se confie avec une sincérité rare sur les tourments de sa conscience et son choix tardif de "se racheter" auprès du peuple camerounais.
Réponse touchante d’Issa Tchiroma Bakary à un journaliste sur son passé avec le régime
<< Monsieur le journaliste, j’ai 79 ans. Je n’ai pas faim, et je n’aurai jamais faim. Mes enfants sont à l’abri du besoin, et ils n’auront jamais faim non plus. Je vis dans l’aisance, et je pourrais continuer ainsi jusqu’à la fin de mes jours.
J’aurais pu, sans difficulté, poursuivre ma collaboration avec le régime, profiter des avantages qu’il m’offre : l’argent, le pouvoir et autres privilèges. Beaucoup ont fait le choix de continuer avec ce régime, des plus jeunes que moi, des plus âgés aussi. Sommes-nous d’accord sur ce point ?
J’avais donc le choix : rester dans le gouvernement, ou le quitter tout en conservant une vie confortable. J’aurais pu aussi me retirer de la vie politique, vivre paisiblement dans mon coin. Et dans ce cas, le régime ne m’en aurait pas tenu rigueur.
Pour résumer, Monsieur le journaliste : je n’ai pas faim, je n’aurai jamais faim. Mes enfants non plus. J’ai 79 ans, et la vie m’a tout donné, pour ne pas dire qu’elle m’a gâté. J’aurais pu arrêter la politique et vivre tranquillement le peu de temps qu’il me reste. Mais je ne l’ai pas fait.
Non. J’ai choisi de mener le plus noble des combats : me battre pour le peuple, aux côtés du peuple camerounais. Je suis certain que le mot “me racheter” serait celui que vous utiliseriez. Et vous n’auriez pas tort.
Moi, et ceux de ma génération, surtout ceux du régime actuel, n’avons pas fait ce qu’il fallait pour nos compatriotes. Les Camerounais en paient aujourd’hui le prix fort. Ce sentiment de trahison me hante. Ma conscience me hante.
Mes devoirs patriotiques n’ont pas été à la hauteur. Et après avoir tant profité du Cameroun, je ressens, au plus profond de moi, un devoir moral : celui de me battre pour les Camerounais. À mon âge, j’ai tout eu. Je n’ai plus rien à perdre, rien à attendre, au-delà, je ne suis pas un homme à plaindre, mais à juger. Ce qu’il me reste, c’est de laisser l’image d’un homme qui s’est mis au service de son peuple, même tardivement, au crépuscule de sa vie.
Je demande aux Camerounais de ne plus me juger sur mon passé, mais sur ma rupture avec le régime. Qu’ils m’aident à faire triompher mes nouvelles convictions, pour un Cameroun juste et équitable. J’ai une volonté ardente et inébranlable d’être à leurs côtés. Je les implore de m’accompagner.
À 79 ans, on n’a plus le temps de jouer avec le peuple. Une personne normalement constituée, pétrie de sagesse acquise tout au long de sa vie et expériences, n’a ni le temps ni l’énergie de bafouer les valeurs qui fondent une nation. Il est temps d’unir notre peuple autour d’idéaux communs, pour l’unité nationale, le progrès, le bien-être collectif et la prospérité partagée. >>
Extrait d’une interview relayée par Ousmanou Magadji