FMI au Cameroun : la « cavalerie financière » qui inquiète les économistes

Louis Paul Motaze Minfi Signature Image illustrative

Wed, 5 Nov 2025 Source: www.camerounweb.com

Jeune Afrique révèle l'existence d'une pratique financière risquée menée par le Trésor camerounais : le recours quasi hebdomadaire au marché régional des titres publics pour lever des liquidités d'urgence. Emmanuel Noubissie Ngankam, ancien cadre de la Banque mondiale dont les propos ont été recueillis en exclusivité par nos soins, dénonce une « cavalerie financière coûteuse » qui traduit les difficultés profondes des finances publiques camerounaises.

Selon les informations obtenues par Jeune Afrique, l'État camerounais émet des Bons de Trésor Assimilables (BTA) à 13 semaines (3 mois), 26 semaines (6 mois) ou 52 semaines (un an) pour lever entre 10 et 15 milliards de F CFA chaque semaine. Le coût de cette stratégie ? Des taux d'intérêt pouvant atteindre 7 %, révèle notre enquête, citant les propos de l'économiste camerounais.

Jeune Afrique révèle le coût exact d'un refus de poursuivre avec le FMI. Le ministre des Finances Louis Paul Motaze, interrogé par nos soins, a pointé les dangers d'une telle décision : « Le Cameroun perdrait les appuis budgétaires, ces ressources des bailleurs de fonds dont la mise à la disposition est conditionnée par la conclusion d'un accord avec le FMI. »

Les chiffres sont éloquents. Selon les données exclusives obtenues par Jeune Afrique auprès du ministère des Finances, Yaoundé a bénéficié de près de 2 600 milliards de F CFA (3,9 milliards d'euros) durant le dernier programme avec le FMI, entamé en 2021. Ces fonds provenaient de multiples bailleurs : Banque mondiale, Agence française de développement (AFD), Fonds européen de développement (FED), Banque africaine de développement (BAD).

Se passer du FMI, c'est donc renoncer à cette manne financière que Jeune Afrique évalue à plusieurs centaines de milliards par an. Un manque à gagner colossal dans un contexte où, selon un document du ministère des Finances consulté par nos soins, « le financement du déficit budgétaire en 2025 [99,5 milliards de F CFA] sera assuré principalement par des tirages extérieurs sur prêts projets [840 milliards], des appuis budgétaires [165 milliards] et des émissions de titres publics [380 milliards] ».

Jeune Afrique met en lumière un phénomène jusqu'ici peu documenté : la « persistante tension de trésorerie de l'État », pour reprendre les termes d'Emmanuel Noubissie Ngankam. Cette situation, que notre enquête confirme par recoupements avec plusieurs sources financières, explique le recours systématique aux emprunts de court terme sur le marché régional.

Les révélations de Jeune Afrique montrent que cette stratégie s'apparente à un mécanisme d'endettement en cascade : l'État emprunte chaque semaine pour combler ses besoins de trésorerie immédiats, remboursant les échéances précédentes tout en contractant de nouvelles dettes. Une spirale que Noubissie Ngankam qualifie, dans ses propos rapportés par nos soins, de « cavalerie financière ».

Jeune Afrique révèle l'écart vertigineux entre les ambitions affichées et la réalité économique. Selon les données du FMI compilées par nos soins, le taux de croissance du PIB camerounais stagne en dessous de 4 %. Or, la Stratégie nationale de développement (SND30), boussole économique officielle du pays, prévoyait un niveau moyen de 6,6 % sur la période 2021-2025.

Cette contre-performance de près de 3 points de pourcentage, mise en lumière par Jeune Afrique, représente des milliards de richesses non créées, des emplois non générés, des investissements non réalisés. Emmanuel Noubissie Ngankam, dont l'analyse a été recueillie exclusivement par nos soins, estime que « les déficits jumeaux (budgétaire et courant) négatifs, comme d'autres indicateurs, et la situation financière du pays contraignent le gouvernement » à rechercher un nouvel accord avec le FMI.

Jeune Afrique révèle un facteur déterminant dans l'arbitrage en cours : la dimension régionale de la décision camerounaise. Le contexte est marqué par « la solidarité, notamment dans la gestion des réserves de change, et la nécessité de garantir la stabilité extérieure de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac) », explique notre enquête.

En décembre 2024 à Yaoundé, révèle Jeune Afrique, la conférence des chefs d'État de la Cemac a invité le Gabon, le Tchad et la Guinée équatoriale à rejoindre le Cameroun, le Congo et la Centrafrique, alors sous programme FMI. Une option actée par Libreville, même si les négociations n'ont pas encore débuté selon nos informations.

« Le Cameroun, qui pèse 40 % du PIB de la zone, va exercer un effet d'entraînement sur les autres », prédit un analyste financier dont les propos ont été recueillis par Jeune Afrique. Cette dimension régionale transforme la décision camerounaise en enjeu sous-régional : un refus de Yaoundé pourrait fragiliser toute l'architecture financière de la Cemac.

Jeune Afrique révèle les contraintes temporelles qui pèsent sur cette décision stratégique. Selon nos informations, la prochaine mission du FMI à Yaoundé est attendue entre fin janvier et mi-février 2026. D'ici là, le gouvernement devrait avoir saisi officiellement l'institution financière par une lettre d'intention exprimant ses besoins.

Mais le contexte politique complique la donne. Jeune Afrique constate que trois priorités s'entrechoquent : la présentation du budget 2026 au Parlement (session ouverte le 3 novembre), la formation d'un nouveau gouvernement post-électoral, et la décision sur le programme FMI. « L'urgence est également à la formation d'un nouveau gouvernement, ce qui questionne la reconduction des ministres actuellement en charge de l'Économie et des Finances », note notre enquête.

Cette incertitude institutionnelle, révélée par Jeune Afrique, ajoute une couche supplémentaire d'instabilité. Qui négociera avec le FMI ? Louis Paul Motaze sera-t-il reconduit ? Le prochain ministre aura-t-il la même vision ? Autant de questions qui retardent potentiellement une décision dont l'urgence économique devient chaque jour plus criante.

Jeune Afrique a recueilli une déclaration révélatrice du ministre Louis Paul Motaze, le 30 octobre dernier au sortir du conseil de cabinet. Se passer du FMI, a-t-il expliqué, « nous donne des marges de manœuvre par rapport à certaines décisions qui nécessitaient l'accord préalable du fonds. On les prendrait désormais sans cet accord préalable. »

Ces propos, rapportés en exclusivité par Jeune Afrique, laissent entrevoir une tentation : celle de l'autonomie décisionnelle, libérée des conditionnalités parfois contraignantes du Fonds. Mais notre enquête révèle que cette « liberté » a un prix : la perte de 2 600 milliards de financement, l'arrêt des réformes structurelles et la poursuite d'une « cavalerie financière » coûteuse.

Dans ce dilemme cornélien documenté par Jeune Afrique, l'arbitrage final de Paul Biya dessinera les contours de la politique économique camerounaise pour les années à venir. Entre indépendance et discipline, entre souveraineté et pragmatisme, le choix du président octogénaire résonnera bien au-delà des frontières du Cameroun.

Source: www.camerounweb.com