Cameroun : ces fêtes qui nous viennent de loin

Saint Valentin Regardons aussi notre Fête de la Jeunesse, célébrée récemment.

Fri, 14 Feb 2025 Source: Jean Pierre Bekolo

Joseph Tonda disait que nous vivons nos vies dans la tête de quelqu’un d’autre. En est-il de même pour nos fêtes? Que fêtons-nous vraiment avec ces fêtes qui nous viennent de loin ? Et fêtons-nous vraiment ces fêtes ? La Saint-Valentin, qu’on fête par exemple aujourd’hui, fut instaurée pour honorer plusieurs martyrs nommés Valentin, dont un prêtre romain qui mariait secrètement les couples sous un empereur opposé aux unions de ses soldats. Selon la légende, après avoir été arrêté, il aurait miraculeusement redonné la vue à la fille aveugle de son geôlier, avant d’être décapité, laissant derrière lui un dernier mot signé « ton Valentin ». En 498, le pape fixa le 14 février comme date de cette célébration. Ce genre d’histoire, il en existe sûrement des centaines en Afrique. Cette fête de l’amour et des amoureux, comme tant d’autres qui nous viennent de loin, semble dire que nous ne sommes plus les maitres de nos fêtes.

Regardons aussi notre Fête de la Jeunesse, célébrée récemment. Une date qui aurait dû symboliser l’union — l’amour — entre les Cameroun anglophone et francophone, mais qui s’est transformée en un défilé. Les jeunes qui fêtent font le défilé; le défilé qui n’est rien d’autre qu’une parade militaire. Un hommage à la victoire des Alliés sur les Nazis, nous continuons, comme de bons colonisés, à fêter au pas de soldats, perpétuant docilement auprès de nos enfants un rituel imposé des décennies après le départ du colonisateur. Il est peut-être parti, mais son rêve continue de vivre en nous et en nos enfants.

Puisque nous sommes dans la fête, hier encore, le sempiternel gâteau d’anniversaire a été placé devant le président Paul Biya, comme chaque 13 février. Cette année, en pleine période électorale, le chant de Happy Birthday entonné par son entourage a dû sonner plus faux que jamais. Si nous devions vraiment célébrer les 93 ans d’un patriarche africain, le ferait-on vraiment avec un gâteau à la crème et des bougies ?

Et que dire de cette fete du 8 mars, Journée des droits de la Femme ? Une célébration où, à défaut d’un gâteau traditionnel, la bière des frères Castels et des Kadji semble en avoir pris le relais ainsi que le kaba, du 8 mars, cette robe imposée par l’épouse du pasteur Alfred Saker pour cacher la nudité africaine devant son mari. Pourtant nos ancêtres savaient honorer la femme autrement, par des rituels comme le Mevoungou, où les femmes chassaient les hommes pour affirmer leur pouvoir sur la vie et la mort.

La question qui m’intéresse ici est de savoir à quel moment notre manière de faire la fête a-t-elle changé? Nous Africains, peuple de la fête, inventeurs de mille formes de célébration, fêtant tout et à tout moment, comment avons-nous pu en arriver à singer l’Autre, au point d’y perdre tout plaisir?

À quoi ressemblerait une vraie Fête de la Jeunesse Africaine? A un carnaval de créativité, des chariots bariolés, des joutes d’inventivité, une explosion d’arts et de culture? Pourquoi pas? À quoi ressemblerait une vraie Fête de la Femme ? Des rituels puisés dans nos traditions, des célébrations de pouvoir et de transmission? A creuser.

Et pour l’anniversaire d’un patriarche ayant dirigé des millions d’âmes pendant près d’un demi-siècle, comment marquerions-nous cela en Africain ? Je vous laisse proposer.

Car si, pour la Saint-Valentin, célébrer l’amour se résume à une bouteille de champagne Ruinart à 1,5 million et 20 minutes de play-back de Fally Ipupa, alors c’est que nous avons soit un problème avec l’amour, soit un problème avec la fête.

Et si le vrai problème, c’était que nous avons cessé de fêter pour nous-mêmes ? Nous fêtons aujourd’hui non pas parce que nous sommes heureux, mais pour que les autres croient que nous le sommes. Une forme d’envoutement. Posons-nous la question : Pourquoi l’Autre compte-t-il plus que nous-mêmes ? N’est-ce pas parce que nos fêtes sont devenues des rituels vides, célébrant en réalité notre mal-être? Bonne Fête à tous!

Source: Jean Pierre Bekolo