D’un côté comme de l’autre de la route, les hommes accroupis font des ablutions. Une fois terminée, les plus rapides se dirigent vers les mosquées les plus proches. Au passage, il traverse un groupe de femmes à la recherche de Bintou, la tatoueuse la plus réputée du quartier Briqueterie. «Vous voyez la boutique là, il y a une petite route derrière. Empruntez-là, et vous vous renseignez», renseigne un trentenaire, en retroussant les manches de son boubou. Chez Bintou, la porte est fermée. Mais sa voisine, une apprentie tatoueuse convie les visiteuses chez Adja, une autre professionnelle du tatouage, Après avoir reçu ses clients et fait sa prière, Adja étale son matériel de travail dans la cour commune. Avant de se mettre au travail, la tatoueuse dévoile les petits secrets de son métier.
«Pour réussir les dessins, il faut bien préparer la pâte», déclare la trentenaire en joignant l’acte à la parole : «il faut deux cuillères à café de henné écrasé, la teinture noire et de l’eau. On mélange l’ensemble des produits, de sorte que la pâte devienne homogène et onctueuse. Elle ne doit être ni trop liquide faute de quoi elle coulerait sur la peau, ni trop sèche, sinon elle serait alors impossible à appliquer sur la peau. Le mélange doit être appliqué sur la peau à l’aide d’une seringue dont l’aiguille permettra de dessiner les motifs désirés et d’avoir des traits fins», explique Adja en joignant l’acte à la parole. Après la préparation de la mixture faite à base de henné, vient le temps de la pose qui dure au minimum une heure. Ses clientes désireuses de se faire belles sacrifient au rituel sans mots dire. «Sur le pied ou la cheville notamment, le temps de pose doit davantage être long. Car ces parties du corps sont souvent humides, parce que enfermées dans un vêtement ou une chaussure», informe-t-elle. Autre précaution d’usage, le produit ne doit pas être appliqué sur une peau qui a été ointe par un lait de toilette.
L’épaisseur du produit appliqué sur la peau a également son importance. En tout cas chez Adja, comme chez ses consoeurs, le prix des tatouages varie en fonction des circonstances et des motifs désirés. «Le prix standard d’un tatouage commence à 2.000 FCfa. Certains faits pour les mariages, les baptêmes et autres fêtes religieuses coûtent 5.000 FCfa, Les prix peuvent même atteindre 10.000 FCfa quand les motifs utilisés sont spéciaux», rappelle Adja. Une activité lucrative donc. 10.000 FCFA Tant au quartier Briqueterie, il ne se passe pas un jour sans que ces tatoueuses traditionnelles ne reçoivent pas au moins cinq clients. «Ils viennent pour des tatouages simples, ceux de 2000 FCfa. Pendant les périodes de fêtes, les clients qui viennent demandent des motifs de 5.000 parfois 10.000 FCfa» confie une collègue d’Adja. Avant de dire qu’à la Briqueterie, quartier où on retrouve davantage les ressortissants du Grand-Nord à Yaoundé, elles sont nombreuses à pratiquer cette activité. Leur notoriété, elles la doivent en grande partie au travail de qualité qu’elles font et à la satisfaction des clients, qui ne sont plus seulement les femmes ou épouses du septentrion, mais aussi, et de plus en plus, des sudistes. «Les tatouages faits à base de henné sont très beaux», apprécie l’une des clientes d’Adja, dont le tatouage est en train de sécher. Au détour de la conversation, celle-ci lui apprend que le henné encore appelé nallé, provient d’un arbuste épineux de la famille des lythracées pouvant atteindre six mètres de haut. Et dont les feuilles sont réduites en poudre après séchage.
D’après Bintou, une vendeuse de henné, «il existe trois types : le henné naturel qui donne naturellement une coloration rouge, jaune ou orangée. Le henné neutre qui ne donne aucune coloration mais contient plusieurs propriétés et le henné noir» énumère-t-elle. Contrairement au tatouage moderne, le tatouage fait à base du henné, dure deux à trois semaines et n’est pas douloureux. «La pratique du tatouage au henné est utilisée à des fins religieuses ou esthétiques. Le choix des motifs varie selon les cérémonies religieuses (ramadan, Tabaski), baptêmes et mariages», indique-t-elle, avant d’expliquer à une de ses clientes, la symbolique du tatouage fait à base du hénné.
Bien que le tatouage définitif, permanent soient proscrits par l’islam, les tatouages à base de henné font partie de la coutume parce qu’ils sont arborés au cours des évènements heureux. Ils sont acceptés, car ayant des fins religieuses ou esthétiques. «Nous dessinons sur nos bras et nos pieds. C’est la raison pour laquelle nous les utilisons pendant les fêtes religieuses, les mariages, les baptêmes… ».