« Poèmes de Ngata » décrit en poésie mes quarante pénibles mois d’emprisonnement dans le terrible bagne de Kondengui à Yaoundé au Cameroun. Les poèmes qui le composent ont été écrits à l’insu des gardiens de prison.
…………….
Dès mon arrestation, j’ai pénétré dans le monde de la négation de la personne humaine. J’ai été placé trente jours durant en garde à vue dans une cellule de gendarmerie sans ouverture autre que la porte d’entrée. J’ai dormi, au fond de ce tombeau, sans couverture ni drap, ni matelas, ni natte, ni oreiller, sur un sol glacial, la tête à quelques centimètres du seau à déjections humaines. Trois bains uniquement m’ont été accordés pendant toute la durée de ce calvaire.
J’ai été glacé d’effroi devant les hurlements démentiels des personnes que l’on battait pour leur arracher des aveux. Par le passé, j’avais lu ces horreurs dans les descriptions des dictatures d’Amérique latine ou du régime de l’Apartheid en Afrique du Sud. Je n’avais jamais imaginé qu’elles pouvaient se produire tout autour de moi, au Cameroun.
Puis, une fois que je me suis retrouvé au pénitencier de Kondengui à Yaoundé, j’ai découvert cette fois-ci le monde du racket des prisonniers, des disputes qui dégénèrent aussitôt en sanglantes bagarres, de l’insouciance, de la désinvolture, de la toute-puissance des magistrats, et, naturellement, du mépris et des brimades sans nom.
J’ai traduit tout cela en poèmes.
Je t’ai oublié ô dehors
je t’ai oublié
ô dehors
j’ai oublié mes promenades matinales
le long du canal du Mfoundi
j’ai oublié mes randonnées quotidiennes
le long des trottoirs nauséabonds d’Ongola
j’ai oublié mes vadrouilles interminables
le long des masures si laides d’Essos Nkoldongo
j’ai oublié le vacarme assourdissant de tes marchés
plus bruyants que les chutes de la Lobé
j’ai oublié les klaxons polyphoniques de tes autos
dans tes faubourgs boueux
j’ai oublié la vapeur de ta bouillie de manioc
le matin au bord du chemin
j’ai oublié la craquellement appétissant de tes beignets
sous les dents du gueux affamé
j’ai oublié le clapotis des mains de tes batteuses de farine
à côté du feu de sciure qui les nerfs torture
j’ai oublié le vacarme de tes bars à la queue leu leu
qui enivrent cruellement mon peuple
j’ai oublié les effluves de tes boissons dans les
ventes emportées et les baraques de Matango
j’ai oublié la violence des engueulades de tes
ivrognes quand leurs têtes dodelinent d’alcool
j’ai oublié les visages de tes badauds le long de
tes rues à l’affût de ragots à colporter indéfiniment
j’ai oublié le pas nonchalant de tes vendeurs
d’eau de goyaves de mangues qui vendent sans espoir
j’ai oublié les yeux désespérés de tes mendiants
avec leurs moignons de mains qui quémandent sans fin
j’ai oublié les visages radieux de tes demoiselles
si charmantes lorsqu’elles sourient
j’ai oublié la musique suave de tes bistrots où
naissent des amours brûlants
j’ai oublié tes vendeurs de bouquets de fleurs
à qui
les offrirai-je
désormais
………………………….
Cette ville si loin ….
quand mes yeux je promène
désormais dans tes faubourgs
grouillant de monde
ô Yaoundé
de
mon
cœur
ville étrangère
tu es devenue
derrière le grillage des fenêtres
du camion maudit qui me conduit
au parquet
je suis désormais
dans tes entrailles
tel un touriste
du
bout
du
monde
je te retrouve furtivement
dans le brouhaha de mes compagnons
de route
joyeux de te redécouvrir peuplé désormais de bâtisses qui rivalisent de hauteur
ô ville de mon enfance
quand jeune lycéen
j’étais
tu es en train de muer
dans
mon
dos
et moi
et moi
et moi
j’ai hâte de pouvoir de nouveau
t’étreindre
j’ai hâte de pouvoir de nouveau
embrasser
ta foule de badauds qui promènent leur
misère
le long de tes trottoirs poubelles
nauséabonds
où les femmes déversent des bassines de
détritus
de poissons et d’eau souillée
blottir contre ma poitrine de nouveau ma
vie
qui s’est stoppée
quand ces gens
m’ont jeté
dans leur
cachot
ô ville éternelle
tu m’es désormais si près des yeux
mais ô combien si loin
des
pieds
tu m’es désormais
une ville
au bout
de
la
terre
………………………..
Il m’a fui au tribunal
il m’a fui
au tribunal
mon copain
il m’a fui
sans état d’âme
et pourtant nous avons grandi ENSEMBLE
et pourtant nous avons dansé ENSEMBLE
et pourtant nous avons chanté ENSEMBLE
et pourtant nous avons cherché la vie
ENSEMBLE
au lycée
nous dormions dans le MEME dortoir
nous mangions dans le MEME
réfectoire
nous apprenions dans la MEME salle
d’études
nous appartenions à la MEME classe
NOUS AVIONS PASSE LE BAC
ENSEMBLE
MAIS
il m’a fui
au tribunal
mon copain
il m’a fui
sans état d’âme
les menottes à mes poignets l’ont effrayé
les menottes à mes poignets l’ont apeuré
les menottes à mes poignets l’ont tétanisé
il a pris peur
il a pris ses jambes à son cou
il a disparu tout d’un coup
il a couru
couru
couru
couru
TEL UN FORCENE
il s’étais déjà vu
lui-même avec des menottes
lui-même avec des gardiens
lui-même avec un mandat de dépôt
SUR LE DOS
s’il m’avait salué
s’il m’avait parlé
s’il m’avait
simplement SOURI
il m’a fui
au tribunal
mon copain
il m’a fui
SANS ETAT D’AME