Des femmes bien éduquées, occupant des responsabilités sociales et professionnelles, sont prises dans le piège de l’alcool au Cameroun. Lilaafa Amouzou en a rencontré deux d’entre elles qui ont accepté de se confier.
Longtemps présenté comme une maladie de la précarité, touchant les hommes et les femmes issus de milieux défavorisés, l'alcoolisme fait de plus en plus de victimes parmi les femmes éduquées, ayant des responsabilités familiales et professionnelles.
En quête de perfection et sous pression au travail, ces "hyper-femmes", comme les appellent les sociologues, ont fait le choix de se réfugier derrière l’alcool.
Après plusieurs années consacrées aux soins des autres, la mère de famille a décidé de profiter de la vie. C’est dans ces circonstances qu’elle a commencé à consommer l’alcool.
"Avant, je ne pensais qu’à mes enfants, à ma famille. C’était difficile de m’acheter même une chaussure ou quoi que ce soit. Il y a un an et demi, deux ans, j’ai dit non. On ne sait pas le jour, ni l’heure. Si aujourd’hui, il arrive que je ne sois plus là, que je meurs, moi-même, j’aurais mangé quoi sur ce que j’ai souffert pour chercher ?"
"Quand je le sens, je m’arrête quelque part. Je bois ma bière. Ma bière, ce sont deux bières. Mais si je danse, je bois trois bières", raconte-t-elle.
"Et là, je dors comme les chaussures. Ça veut dire que je dors, j’oublie tout. Les soucis de l’hôpital et tous mes soucis... Mais en oubliant que demain quand je vais me réveiller ça va revenir", dit-elle dans un rire.
Et pourtant, la consommation abusive d’alcool peut bien être nocive à la santé. D’ailleurs, les experts recommandent de ne pas dépasser 1 à 2 verres de vin par jour pour les femmes et 2 à 3 verres pour les hommes. L’OMS préconise au moins deux journées sans alcool dans la semaine.
Quand Sophie parvient à mettre fin à la relation, il est déjà trop tard. L’alcool fait désormais partie de son quotidien.
"Je bois chaque jour que Dieu a créé. Du lundi au dimanche, je me trouve en train de boire. Et ça ne me suffit plus, un verre. On peut sortir avec des amis, je bois une bouteille, c’est comme si je n’ai rien bu, pour moi c’est comme de l’eau. Il faut boire plus", raconte la jeune femme.
"Et pour éviter que mes amis se rendent compte que je bois beaucoup, je bois un certain taux avec eux, et dès que je rentre à la maison, je m’arrête à la boutique et j’achète encore les sachets que je vais aller compléter avec la bière", poursuit-elle.
"La meilleure méthode que j’ai trouvée, c’est de boire dans la nuit. D’acheter, de cacher, et la nuit, je me dis si je bois là, tout le monde dort. Personne ne verra que je bois, je finis de boire, j’emballe le sachet, je jette à la poubelle et après, je dors…"
"En journée, je fais l’effort. Mais c’est vrai qu’il y a les jours où je me lève le matin, j’ai envie de prendre, mais je me dis que si je prends là, on peut découvrir que j’ai pris. Et les seuls jours où je ne peux pas résister, je prends un peu, je m’assure de me brosser les dents, de prendre un chewing-gum mentholé, pour cacher l’odeur et je ne parle pas", dit-elle.
Malheureusement, cette consommation immodérée n’est pas sans conséquence pour la santé de l’étudiante. Elle affecte en réalité sa santé.
"J’ai plein de petits boutons qui m’irritent tout le corps. Sur tout le corps, j’ai des boutons partout. J’ai des grosses indigestions à chaque fois que je prends l’alcool. J’ai l’impression que mon cœur bat très vite. Parfois, j’ai des douleurs au niveau du cœur, mais je me dis bon… Ça va passer."
"Je peux mourir à la longue, parce que je ne suis même pas sûre d’atteindre 40 ans."
L’addictologue Christian Eyoum nous explique l’ampleur de la situation et prodigue quelques conseils aux alcooliques.
"Aujourd’hui, on a des femmes qui se lèvent le matin, qui foncent, qui vont se battre comme des hommes, et qui reviennent le soir, et qui assument quand même les tâches féminines, maternelles et puis d’épouses. Et donc, du coup, derrière, comment on fait pour échapper à cette souffrance ? Comment on fait pour échapper à tout ça ?", se demande le spécialiste.
"Beaucoup de ces femmes ont des troubles du sommeil et ruminent le soir, ressassent pas mal de choses dans leur cerveau. Donc, elles sont à la recherche de quelque chose qui va les shooter un peu pour échapper", poursuit-il.
"Et donc heureusement que le make up existe et ces choses qui permettent qu’au petit matin, elles redeviennent des femmes, toutes propres, toutes belles qui vont au travail et personne ne s’en rend compte. Jusqu’au jour où quelqu’un commence à approcher leur intimité ou alors qu’un décalage est fait dans le temps, et que l’erreur commence à se faire constater", indique M. Eyoum.
Le premier pas sur le chemin de la guérison réside dans la prise de conscience du problème.
"Apprendre à demander de l’aide. L’aide commence par ceux avec qui on est à la maison. Peut-être que les gens à la maison peuvent vous aider à ne pas accéder à l’alcool facilement. Mais en plus, quand c’est difficile à la maison et que ça vous dépasse, demander l’aide d’un professionnel", conseille Christian Eyoum.
"Un professionnel, c’est l’infirmier du coin, c’est le médecin du coin, c’est le psy du coin, et c’est quelqu’un qui peut vous aider à faire une analyse fonctionnelle. On va analyser comment est structuré le chemin dans le cerveau, qui conduit à aller vers, aller consommer pour remédier à une situation de souffrance", renseigne-t-il.
Mais pour certaines alcooliques, il est difficile de faire un pas vers la porte de sortie. C’est le cas de Sophie qui n’envisage pas pour le moment de se confier à ses proches.
"Ma plus grande peur maintenant, c’est que ma famille découvre que je suis malade. C’est seulement ce qui me fait le plus peur. Qu’ils découvrent aujourd’hui que leur enfant, leur sœur, la personne qu’il voyait comme le modèle de leur famille, dont on pouvait se vanter devant tout le monde, est entrée dans un (gouffre), qu’elle a mis la honte sur toute sa famille", confie-t-elle.
"On me dit tout le temps, tu es une bonne fille, tu es une bonne femme, tu es très forte. Je ne suis pas une femme forte. Je suis très, très faible. Ça, c’est sûr", fait-elle remarquer.