Fally Ipupa peut se présenter en survêtement avec 45 minutes de retard, il reste un homme que l’on vouvoie instinctivement. Et pas seulement parce que ses sandales sont serties d’or.
Surnommé «?Anelka?» dans le milieu de la rumba congolaise, le premier chanteur congolais à obtenir un single d’or compte dans son entourage Samuel Eto’o, Didier Drogba, Yaya Touré et Ariza Makukula. Ce qui lui permet de voir beaucoup de matchs à l’œil, mais surtout d’avoir un avis qui compte sur les choses du football. Et de la République du Congo en général.
Quels sont vos premiers souvenirs de football ?
Je suis né à Kinshasa. Et à Bandal, mon quartier, il n’y avait que deux choses : le football et la musique. Pendant les vacances, on organisait toujours des tournois. On jouait dans le sable, sans maillots, sans crampons, comme on pouvait. C’était du football de rue, mais quand même à 11 contre 11. Dans l’équipe de mon avenue, Sundi, je jouais attaquant, parce que je n’ai pas tellement de talent défensif. À l’époque, on admirait Maradona, Zidane, Ronaldo… Ce qui fait que j’ai toujours aimé le football, même si j’ai fini par choisir la musique.
Au Congo, les gens parlent toujours de la fameuse Coupe du monde de 1974 ?
Les gens sont contents de savoir que le Zaïre a été le premier pays d’Afrique noire à participer à une Coupe du monde, mais ils ont oublié les détails. Il paraît qu’on s’est fait chicoter 9-0 ou je sais pas quoi contre la Yougoslavie, mais personne ne le sait. Les anciens ne sont plus là pour en parler. La plupart sont morts pauvres, sans que personne ne s’occupe d’eux.
En ce moment la République démocratique du Congo est dans une très bonne période, niveau foot…
Troisième pays africain au classement FIFA !
C’est une des rares sélections africaines à avoir un sélectionneur local, en la personne de Florent Ibenge. Que vous inspire cet homme ?
Il est comme un grand frère, pour moi. C’est un bon sélectionneur, il a rehaussé le niveau de l’équipe. Un gars sérieux, qui a redonné au peuple l’envie de supporter les Léopards, et aux jeunes qui vivent en Europe l’envie de défendre les couleurs de la RDC. Lui et le capitaine, Youssouf Mulumbu.
En quoi le considérez-vous comme un grand frère ?
Déjà, nous sommes de la même tribu, celle des Bangalas. Nous nous côtoyons depuis qu’il dirige la sélection nationale. On se parle, on s’appelle souvent. Pour la RDC, c’est une grande fierté d’avoir un entraîneur local, même si c’est compliqué, car les Congolais sont très exigeants.
Il a annoncé qu’il ne renouvellera pas son contrat de sélectionneur, qui prend fin en décembre 2018…
Je sais qu’il est un peu réticent. Il aimerait même rompre son contrat plus tôt. L’ambassadeur du football congolais est également un de mes amis, il s’agit d’Ariza Makukula, dit AzMak (qui a entre autres joué à Nantes de 2002 à 2004, ndlr). Donc j’ai des informations. Florent Ibenge cumule les fonctions de sélectionneur national et coach de l’AS Vita Club, ce qui est un peu compliqué. Il subit trop de pressions, on peut comprendre ça.
Vous êtes fan de quelle équipe ?
Le Real Madrid, depuis l’époque des Galactiques. Je suis merengue, même si je ne suis pas encore allé les voir jouer. J’ai beaucoup d’amis footballeurs, comme Alexandre Song, Samuel Eto’o, Didier Drogba, Yaya et Kolo Touré… Cela m’a permis de voir jouer Barcelone ou Manchester plusieurs fois. Mais je n’ai pas de potes au Real Madrid, et moi, je vais où on m’invite. En France, je suis pour Paris.
Devant votre télévision, vous consommez beaucoup de football ?
Ah oui ! Lorsqu’il y a du football, tout le monde sait qu’il ne faut pas me déranger. Je suis avec mes amis, on mange, ça chambre… Pour un match de Ligue des champions, je peux organiser un buffet congolais, avec du poisson, du poulet, des feuilles de manioc, de l’alcool… À Kinshasa ou à Paris. J’ai un appartement à Paris, et des appartements et maisons à Kin’.
Et vous supportez un club congolais ?
Je supporte les Léopards du Congo. Les clubs, c’est trop compliqué.
Qu’est-ce qui est compliqué avec les clubs congolais ?
Parfois, les clubs se disloquent, comme par exemple le Daring Club Motemba Pembe. C’est trop speed pour moi, je préfère supporter la sélection nationale.
Certains clubs sont également affiliés à des partis politiques…
Oui, mais les supporters n’écoutent personne. Au Congo, il y a la musique et le football. La politique vient après.
Être fan du Tout Puissant Mazembe ne signifie pas être du côté de Moïse Katumbi, président du club et principal opposant de Joseph Kabila ?
Non, il y a des Kinois qui supportent le TP Mazembe (basé à Lubumbashi, ndlr) sans être des partisans de Moïse Katumbi. Même chose pour l’AS Vita, dont la direction est proche de Joseph Kabila. Mon père était vitaclubien sans être partisan.
Vous deviez jouer à la Cigale, à Paris, le 22 juin dernier, mais la préfecture a annulé le concert, craignant «?des risques de troubles graves à l’ordre public que ce concert était susceptible d’engendrer?» . Les Combattants, un groupe d’opposants radicaux congolais hostiles à Joseph Kabila, menaçaient en effet de s’en prendre à vous et à votre public. Vous comprenez ça ?
Je n’ai jamais fait de politique. Je n’ai jamais pris position. Les Combattants se sont vraiment trompés de cible. Mais c’est compliqué, ce sont des gens qui ont perdu toute lucidité. Je m’attendais à ce qu’il y ait des problèmes, je savais qu’ils existaient. Mais grâce à Dieu, nous avons depuis eu l’autorisation de nous produire en concert à Paris. Donc ce n’est que partie remise. Là où je rêverais de jouer, c’est au stade des Martyrs de Kinshasa. Je devais le faire, mais on me l’a refusé.
De nouveau pour des raisons politiques ?
C’est compliqué.
Tout est compliqué, en RDC ?
Très compliqué.
Il vaut mieux ne pas se positionner ?
Il faut être avec le peuple. Moi, je suis avec le peuple. Et aujourd’hui, il souffre. Il y a des viols, des gens qui meurent. C’est vraiment inacceptable.
Quelle est la première chose à régler, pour que cela aille un peu mieux ?
Que la paix règne, que les gens ne meurent pas aussi facilement, pour rien. Il y a des problèmes de malnutrition, d’éducation, d’insécurité, de santé…
Dans l’industrie musicale, vous êtes surnommé «?Anelka?» . Pourquoi ?
De 1997 à 1998, je faisais partie d’un groupe qui s’appelait Talents Latents. Et Koffi Olomidé, un artiste très important en Afrique, a dû négocier pour que je rejoigne son orchestre. Il a donné quelque chose (sic). C’était la première fois qu’un artiste peu connu était transféré. Comme c’était au moment de l’arrivée de Nicolas Anelka au Real Madrid, qui à l’époque avait été considéré comme le transfert de l’année, Koffi m’avait surnommé ainsi.
Du coup, vous avez rencontré Nicolas Anelka ?
Oui, plusieurs fois. Doug, son manager, est aussi un ami. Et c’est également le manager de Youssouf Mulumbu et coach Ibenge. J’aime bien Anelka, parce que j’aime les mecs francs. On dit que toute vérité n’est pas bonne à dire, mais tant que tu assumes, ça va. Et en vérité, c’est plutôt un mec timide et cool. J’étais en Afrique du Sud, lorsqu’il s’est fait renvoyer de l’équipe de France.
Je n’ai rien compris. Il a insulté son entraîneur, c’est ça ? Mais ça, ce n’est rien, comparé à ce qu’il se passe dans le monde de la musique ! Chez nous, ça se tape ! Les insultes, ce n’est rien. Je dis toujours que la réaction d’un mec qui est sous pression, comme l’était Anelka, est similaire à celle d’un homme qui a bu, ou qui est fou. Le plus important est de savoir s’excuser.
Il ne s’est jamais excusé…
Ah…
…
Il critiquait les choix de Domenech, c’est ça ? Les entraîneurs, parfois, aussi… Même notre cher et respectable coach Ibenge est souvent critiqué, à cause de ses choix tactiques. Je lui en ai parlé l’autre jour, à l’anniversaire d’AzMak. «?Coach, quand on s’est fait sortir par la Côte d’Ivoire (lors de la dernière CAN), les gens disaient qu’il fallait remplacer Dieumerci Mbokani par Cédric Bakambu. Vous entendez ça ??» Il m’a répondu que les gens ne comprennent pas qu’ils avaient beaucoup de blessés. Anelka a joué à Arsenal, au Real… Je respecte Domenech, mais je pense que Nico pouvait lui apporter quelque chose. Mais parfois, les entraîneurs sont têtus.
Vous connaissez personnellement Gaël Kakuta ?
Non, je ne l’ai même jamais vu jouer. Mais on me dit que c’est un bon joueur, et je suis content qu’il accepte enfin d’aider le pays de ses parents, en jouant pour la RDC.
Que pensez-vous de sa démarche de casser le gros contrat qu’il avait enChine, pour revenir en Ligue 1, à Amiens ?
Il n’a que 26 ans, il peut faire quelques saisons en France avant de s’exiler pour l’argent. Il est très rare dans le football de baisser son salaire, il l’a fait. C’est un visionnaire.