« On voudrait croire à une malédiction. On voudrait crier au complot. Mais, à bien regarder, aucune de ces explications ne suffit à justifier l’incapacité presque chronique des rappeurs du terroir à rééditer le succès ».
C’est ainsi cité mot pour mot les propos liminaires de la chronique de l’avant-gardiste Nick B, publiée en 2010, intitulée « le second essai n’est jamais le bon ».
6 ans après, cette analyse qui était dans et hors de son temps reste d’une cuisante actualité. Le public du rap a grandi, les rappeurs ont conquis avec force une place non négligeable sur la scène musicale, ils sont de plus en plus en vue, et plusieurs de leurs sorties se posent comme des succès de l’année ici et ailleurs.
Mais au regard de ce qui se passe actuellement, on ne peut pas autant s’en réjouir. On peut même se plaindre qu’avec autant de portes défoncées, d’opportunités acquises, que les erreurs ancestrales puissent encore poursuivre avec autant d’énergie les générations nouvelles.
Depuis 2013, on observe une apparition aux allures messianiques des jeunes dans ce style musical, mais aussitôt ils viennent qu’ils sont déjà partis, et plusieurs qui essaient de revenir font de leurs coups d’essais des coups de novices.
Ce qui se passe c’est que, rappellera Nick B dans le même texte, «Bien que talentueux, nombre de rappeurs camerounais paraissent souvent surpris par le succès.
Pas suffisamment avertis des dangers d’une popularité mal assumée, ils se laissent gagner par l’ivresse de la gloire ». Cette impressionnante remarque, à la lecture des nombreux commentaires sur internet ces derniers jours, collent tellement au visage de l’auteur de « coller la petite », qu’il devient difficile pour lui de s’en débarrasser.
Au fait, après son « second essai » qu’il a bien voulu baptiser « téléphone », il a essuyé d’énormes critiques à la fois de « ses » fans, et de ses « haters », les unes aussi sévères que les autres.
Cette posture indélicate a vu le jour bien avant. La sortie de « téléphone » l’a juste envenimé. Malgré lui apparemment, l’artiste avait vu publier sur internet la version francisée de la vidéo « coller la petite ».
Le public émotif et peu averti avait pensé que l’artiste signait ainsi son retour après plusieurs mois de succès redondant de son tube international.
Le clip a été battu en brèche, d’un revers de la main par le même public, on peut dire, qui a jadis porté et supporté l’artiste. D’une manière très ironique une commentatrice dira qu’ « on te demande de nous servir un autre ndolè, tu nous racles la marmite ? ».
Voulant rassurer ses fans qu’il n’était point en mal ou en manque d’inspiration, l’artiste a multiplié les publications pour leur rappeler qu’il ne va « jamais les décevoir » et qu’il va leur offrir un nouveau tube à la « hauteur de leurs attentes » et de leur soutien.
Sauf qu’au sortir de « téléphone » les uns et les autres ont pensé que le fruit n’a pas tenu la promesse des fleurs. Ils se disent que l’artiste a servi un « tchoronko » à la place d’un « smartphone » dernier cri. Les commentaires partaient dans tous les sens.
On critiquait tout et tout, de la musique à la vidéo, passant par le texte et la thématique, et même son style et sa voix. Les internautes laissent à penser que le thème choisi était trivial, et traité lui même par l’artiste avec une étrange banalité et une carence d’originalité.
Le parti pris « moralisateur » a attristé les auditeurs. Chose peu étonnante dans un pays où on a sapé toute autorité morale, où les gens n’aiment pas qu’on leur dise ce qu’ils vont faire, où on rejette la critique bien qu’on aime en faire, où on déteste la vérité sur soi tout en aimant la dire sur les autres. La posture du « juge » prise par l’artiste en dit long sur l’intention moraliste de la chanson.
On comprend bien qu’il a voulu se rattraper devant une certaine partie de l’opinion ayant jugé « coller la petite » comme un hymne misogyne louant la débauche, l’inceste, et tout autre type de luxure.
L’artiste a donc voulu donner les leçons à un public qui n’aime pas en recevoir, même d’un juge sans présence autoritaire ni couvre-chef de circonstance.
Dans le même élan de juridiction, l’artiste a voulu, à en croire d’autres commentateurs, utiliser l’éloquence qui sied à ces membres de la cour.
Oubliant à quel public il s’agressait, mettant de côté l’argot et tous ses dérivés qui pleuvaient du début à la fin de « coller la petite ». Si bien que dans « téléphone » il n’a pas voulu ou pu utiliser deux mots en « camfranglais ».
Surement a t’il voulu « toucher » son public français en voulant être plus royaliste que le roi, en prenant ses ancêtres pour les gaulois ? Comme aux autres on lui a dit : « laisse nous le français de Molière ».
Le jeune rappeur Ocla avait donc bien sondé le public camerounais en affirmant : « le sérieux, les conseils, les proverbes c’était la musique d’avant »…On veut la musique qui retire l’alcool dans le corps, qui parle de fête, de fesses, de bières, etc…On pensait qu’il n’y avait pas mieux que l’auteur de « coller la petite » pour le comprendre.
Mais il n’a pas voulu être commandé par son public, il n’a pas voulu, dit’il en être l’esclave. Comme REDK, il a pensé que « ce n’est pas parce que le public est scatophile qu’il faut lui servir de la merde ». Mais a t’il merdé ? S’est ‘il vautré dans la merde qu’il voulait dispenser au public ?
Il a voulu se défendre dans sa tournée média en affirmant à chaque fois que « Michael Jackson n’avait pas fait deux Thriller » ou bien que « chaque jour n’est pas dimanche ». Sauf que Michael Jackson c’est quand même une succession de disques d’or et de platine avant et après Thriller.
Ainsi est le public en général : il commence par lécher, après il te lynche et enfin il te lâche. Mais la véritable philosophie reste celle de Youssoupha, qui dit justement que « les vrais taureaux sont ceux qui prennent du poids même en période de vaches maigres ».
Le public aussi se comporte comme une « pute », il va et vient selon les tendances du temps, il faut juste être ingénieux et savoir comment le « prendre ».
Il faut aussi savoir apprendre de ses erreurs passées, des erreurs de ses prédécesseurs, avoir l’humilité de copier leurs réussites, et surtout la discipline de se plier au travail sans fin et non se complaire dans la jouissance de l’éphéméride du buzz, se cadenasser dans une zone orgueilleuse de confort qui ferme la porte à toute auto-critique, à tout regard objectif sur son œuvre et à tout retour introspectif sur soi.
du même chroniqueur:
- Arrêtez de coller la petite et laissez décoller le petit
- Il est interdit d'interdire de coller la petite