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Gérard Essomba Many: le cinéaste camerounais le plus capé ?

Gerard Essomba Many Cineaste Camerounais Gérard Essomba Many, figure mythique connaît une riche carrière, ponctuée de diverses récompenses

Sat, 5 May 2018 Source: cameroun24.net

Décembre 1989. Un léger vent frais fait bouger paresseusement les feuilles des cocotiers. La nuit est calme. La lune éclaire les vagues de la mer qui semblent se livrer à une danse langoureuse. Sur la plage de N’gor au Sénégal, 41 chefs d’Etat –dont François Mitterrand venus participer au 3e Sommet de la Francophonie, assistent à un spectacle de haut niveau.

Mais, ce n’est en aucun cas cette chorégraphie de la mer et des éléments autour qui intéressent ces spectateurs de luxe. Toute leur attention est plutôt portée vers un homme. Sur la scène qui nous convie tantôt à Saint-Domingue, tantôt à Paris, 270 artistes rivalisent d’adresse et de talent. Et au milieu d’eux, un homme crie : « Liberté ». Toussaint Louverture.

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La pièce écrite par Jean-Louis Sagot, un ancien curé français, a nécessité de gros moyens pour sa mise-en-scène par Claude Moreau. Il a fallu 4 milliards Fcfa, 74 techniciens sur le plateau, deux mois de préparation et des centaines de costumes pour deux heures de spectacle. A la fin de la représentation, les acteurs ont droit ce soir-là à une standing-ovation. Tous sont des Sénégalais. Tous, sauf un. Celui qui joue le rôle de Toussaint Louverture –personnage éponyme- est un jeune camerounais. Il a déjà fait plusieurs scènes et quelques brillantes apparitions dans des fictions.

Mais c’est la première fois qu’il interprète un aussi grand rôle devant un public aussi prestigieux. Sous le ciel de Dakar, loin de sa terre natale, Gérard Essomba Many, qui promit un jour à son père de devenir un grand acteur plus tard, écrit sa légende… et tient sa promesse. Plusieurs chefs d’Etat et d’autres personnalités le félicitent personnellement après sa prestation. L’ex-président du Sénégal, Abdou Diouf, en tête. Mais alors qu’il éblouit ce beau monde, il manque un des siens. Le président Paul Biya.

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De nos jours, dans son Mvog-Ada natal à Yaoundé, Gérard Essomba Many raconte cette anecdote parmi tant d’autres, avec des yeux qui brillent. Le sourire et le rire qui vont avec. Un soupçon de colère aussi, parfois. Les contradictions d’un homme qui regarde une carrière enrichissante dans le rétroviseur, mais qui semble insatisfait. Lorsqu’il rembobine les scènes de sa vie, l’auteur du livre « Le zouave de Raspoutine » (Harmattan-Cameroun, 2014) parle avec passion et émotion. C’est l’histoire d’un homme de théâtre devenu plus tard une figure mythique du cinéma camerounais.

Tout commence en 1958, lorsqu’il atterrit à Marseille, après avoir voyagé durant 21 jours dans un bateau, au départ de Douala. Il entreprend des études d’art dramatique dans diverses institutions (Censier, Université du théâtre, Citée internationale) et est pris en main par une certaine Tania Balachova. Une Russe qui lui apprend les bases du métier d’acteur de théâtre. « Les débuts ont été difficiles. J’ai dû essuyer des échecs à plusieurs reprises », se souvient-il. Gérard Essomba commence à interpréter de petits rôles dans diverses pièces. Il débute avec « La putain respectueuse » de Jean Paul Sartre. Son talent lui permet ensuite de monter sur des scènes de plus en plus prestigieuses.

On le voit ainsi dans « La tragédie du roi Christophe » d’Aimé Césaire. Il joue également dans « Les brumes de Manchester », la pièce de Frédéric Dard, qui aura droit à 72 représentations. Il engage aussi une carrière de théâtre radiophonique pour Radio France et de voix-off pour des publicités. Belle gueule, voix rassurée et humour naturel, Gérard Essomba commence à séduire les réalisateurs. Fort de son succès au théâtre, il vire au cinéma sans grande peine.

Du théâtre au cinéma

Dans « La légion saute sur Kolwezi » (1980), il est dans la peau du docteur BiaKombo. Plus tard, il apparaît dans le film à succès « Les coopérants » de son compatriote Arthur Si bita, décédé en 2016 à l’âge de 68 ans. En 1993, il joue dans « Rue princesse », une comédie de l’Ivoirien Henri Duparc. C’est grâce à ce film qu’il remporte son premier oscar du meilleur second rôle au festival de Johannesburg. Le reste est une suite de succès qui s’enchainent. Le plus retentissant reste sans nul doute « Pièces d’identités » du Congolais Dieudonné Mwezé Ngangura, sorti en 1998. Un film qui va rafler 21 prix à travers le monde, dont 9 prix d’interprétation.

Gérard Essomba, petit-fils d’un grand-père notable pendu par les Allemands (Many Ewondo Barthélémy) et fils du premier journaliste et adjoint au maire de la ville de Yaoundé à l’époque coloniale (Antoine Many Essomba), est désormais un monument pour la jeune génération. Une source d’inspiration. C’est donc avec plaisir qu’il accepte, chaque fois que c’est possible, de tourner avec les plus jeunes. Camerounais ou étrangers. C’est ainsi qu’on le voit interpréter « Le président » de Jean-Pierre Bekolo (film censuré au Cameroun). Il est également la tête d’affiche de « Walls » (2016), court-métrage de Narcisse Wandji.

Plus récemment, Gérard Essomba a incarné le rôle principal dans deux films sélectionnés au dernier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Il s’agit de « Live Point » du Camerounais Achille Brice et de « La forêt du Niolo » d’Adama Roamba, qu’il a même regardé en compagnie du chef de l’Etat burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré.

Amertume

L’homme est persuadé que s’il était resté en France, sa carrière n’en aurait été que plus enrichie qu’elle ne l’est actuellement. Mais Gérard Essomba ne regrette en aucun cas d’être revenu au Cameroun en 2009. Ceci dit, entre cette brillante carrière longue d’un demi-siècle et l’indifférence des autorités de son pays vis-à-vis de ses artistes, il ressent quelques fois de l’amertume. « Il y a un problème de mémoire dans ce pays. La preuve, vous ne verrez jamais un monument, ni une rue au nom d’un géant de la culture camerounaise tel que Francis Bebey ». Il garde encore en mémoire le spectacle horrible du décès de son ami Arthur Si Bita.

Ce qui l’amène à dire qu’au Cameroun, « la plupart des artistes sont comme des zombies au bord de la tombe ». Pour celui qui est par ailleurs le réalisateur du film « L’enfant peau-rouge » (2006), la gestion de la culture est catastrophique au Cameroun. « Je n’ai rien contre les agrégés, mais on n’a pas forcément besoin de sortir d’une université pour gérer une institution de spectacles. Je pense qu’il nous faut des états généraux de la culture. Il faut aussi que le chef de l’Etat descende de sa tour d’ivoire pour mieux voir », martèle-t-il. Ses prises de position parfois énergiques lui ont même valu une biographie au titre qui en dit long sur le caractère de l’homme. En 2012, Charles Soh commet « Gérard Essomba many, l’acteur rebelle – Art et esthétique du comédien africain ».

Pour le reste, « le patriarche Mvog-Ada » relève un problème de formation des acteurs et des réalisateurs. Il se souvient qu’il avait un projet de création d’une école d’art dramatique. Mais celle-ci n’a pas vu le jour. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à avancer. Malgré quelques déboires avec la CRTV, il a encore des projets plein la tête. Actuellement, il s’applique à boucler le scénario de son premier long-métrage. C’est clair, la carrière de Gérard Essomba est loin d’être terminée.

Source: cameroun24.net