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Léonora Miano frappe trois coups

Leonora Miano

Thu, 30 Apr 2015 Source: Le Monde

Dix ans après son premier roman, L’Intérieur de la nuit (Plon), Léonora Miano fait sa grande entrée dans le théâtre avec Red in blue trilogie.

Comme le titre l’indique, ce livre est composé de trois pièces écrites à des périodes différentes, et qui ont chacune leur autonomie. Mais toutes suivent le fil rouge de la traite subsaharienne, qui parcourt l’œuvre de l’écrivaine née en 1973 à Douala, au Cameroun.

Plus on avance dans la lecture de Red in blue trilogie, plus on a l’impression, rare de nos jours, d’être face à du théâtre dont la force narrative et l’ampleur de la langue suscitent, dans leur registre et leur contexte, une attraction semblable à celle d’une épopée comme le Mahabharata.

Evidemment, on rêve que la trilogie soit mise en scène. Pour le moment, ce n’est pas prévu. Mais elle circule, et Léonora Miano donnera une lecture de Tombeau, la dernière de ces pièces, au Festival d’Avignon.

La première, Révélation, se passe dans un espace mythologique. Inyi, une figure de la divinité créatrice de l’Univers, doit faire face à une situation inédite : une grève. Les nouveau-nés refusent d’avoir une âme en leur corps incarnée, ce qui est contraire aux lois de l’Univers, tant que les Ombres, des âmes damnées, n’auront pas rendu compte de leurs méfaits...

L’espace mythologique de Révélation, c’est bien sûr l’Afrique, mais Léonora Miano n’écrit jamais son nom, parce que l’Afrique n’est pas une, mais multiple. De la même façon, elle reste dans le domaine de la fiction, parce qu’elle la sait plus forte que la dénonciation. Mais, pour autant, elle ne triche pas avec son sujet, en ­confrontant le continent à la réalité des crimes qui y ont été perpétrés.

Des vies intimes et des amours

Il y a dans cette démarche une fonction cathartique, certes. Mais il y a surtout une belle matière à entrer dans une histoire qui rejoint l’Histoire, et à la voir se déployer, comme un paysage mental magnifiquement incarné. On retrouve ces qualités dans Sacrifices, la deuxième pièce, où Léonora Miano nous mène sur une terre qui pourrait bien être la Jamaïque.

Elle s’est inspirée des «?marrons?», ces esclaves enfuis de chez leurs maîtres. Certains ont trouvé refuge dans les montagnes. Pour avoir la paix, ils ont passé des accords avec les colons, stipulant qu’ils n’accueilleraient pas de nouveaux fugitifs. A ces hommes et à ces femmes, Sacrifices invente des vies intimes et des amours, tout en posant une question de fond : que vaut la liberté, si, pour la ­garantir, on écarte ses frères de sang ?

Dans Tombeau, il n’y a plus d’esclaves, mais des descendants d’esclaves : des hommes et des femmes, en Amérique ou ailleurs, qui font un test génétique pour connaître leurs origines, et vont dans le pays de leurs ancêtres.

Ils se ­sentent forts de leur appartenance, mais comment nouer une relation avec les ­habitants, pour qui ils sont des étrangers ? Ainsi se clôt la trilogie qui met en scène cinq cents ans d’une histoire dou­loureuse, humiliante. Mais l’écriture de Léonora Miano, elle, contredit le destin. Elle est libre, décidée. Lumineuse.

Source: Le Monde