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Le livre ‘Tram 83’ disséqué au Concours de Dissertation-GPAL 2017

Dissertation GPAL 2017 Tram 83, le livre de Fiston Mwanza Mujila primé dans la catégorie Belles-lettres aux GPAL 2015 ? »

Sun, 2 Jul 2017 Source: yaoundeinfo.com

Il est de notoriété acquise qu’en la littérature les prix, les récompenses et les distinctions ne remplacent jamais le plaisir de lecture, la jouissance esthétique et l’effet de vie que l’œuvre crée chez le lecteur lui-même.

La littérature est avant tout une affaire de passion et sa réussite réside dans la capacité d’une œuvre à transporter le lecteur dans une aventure scripturale pénétrante de façon à créer une réalité intime, une expérience unique.

C’est une expérience de ce genre que j’ai vécue en lisant Tram 83. Contrairement à Hemingway pour qui un chef-d’œuvre est un livre dont tout le monde parle et que personne ne lit, les chefs-d’œuvre, selon Beigbeder, détestent qu’on les respecte. Ils préfèrent vivre, c’est-à-dire être lus, triturés, contestés, abîmés.

Dès le paratexte le titre ne passe pas inaperçu. « Un titre, disait Umberto Éco, doit embrouiller les idées et non les embrigader ». Tram 83 relativement au véhicule dont le nom désigne, a la résonnance d’un moyen de déplacement, d’une destination, d’un repère, d’un lieu. Un terminus, un lieu de rencontre, un lieu d’achoppement, un lieu d’échanges divers et de partage.

Les illustrations de couverture donnent clairement à voir une ambiance festive. Les occupations et les activités sont diverses et variées : un tel esquisse des pas de danse avec une cavalière qui exécute à la perfection le rythme qu’impose le partenaire , un tel est dans une opération de séduction avec une jolie dame assise sur ses cuisses et à qui il offre un verre.

À l’écart, au premier plan, se trouve, indifférent et insensible à ce qui se passe autour de lui, un homme d’une trentaine d’années qu’on pourrait qualifier de marginal. Son regard fixé sur l’objectif, son habillement (politiquement correct) pareil à celui d’un écrivain, semble trahir une hostilité vis à vis de ce milieu. Selon toute vraisemblance, il y serait à son corps défendant. Ouvrons à présent la porte du Tram 83.

Dès les premières lignes on est saisi par le réalisme saisissant de l’œuvre : l’œuvre est découpée en Chapitres accompagnés de chapeaux qui tiennent lieu de résumé. De nombreuses références bibliques parsèment l’œuvre et on voit une volonté manifeste du romancier de poétiser le récit de la création : « au commencement était la pierre provoqua la possession et la possession la ruée,… »p.13 Fiston plante le décor en en dévoilant les arcanes d’un univers dont il a seul le secret.

Les deux premières phrases de l’incipit situent l’action dans le temps et dans l’espace : « Gare du Nord. Vendredi, vers les sept-neuf heures du soir ». Outre le plus du dialogue qui annonce déjà deux personnages « -Patience Mon ami, toi-même tu sais que nos trains n’ont plus la notion du temps. », il est décrit une banlieue où il fait bon vivre, tous les plaisirs étant permis : « c’était le seul endroit du globe où l’on pouvait se pendre,déféquer, blasphémer, s’amouracher et dérober sans se soucier du moindre regard » p. 13. C’est essentiellement à cela que se résume la thématique ; thématique majeure à laquelle viennent s’ajouter les thèmes de l’écriture et de la politique.

En ce qui concerne l’écriture, l’œuvre peut être considérée comme une mise en abyme en ce qu’elle retrace le parcours d’un jeune écrivain dans une société hostile à son talent. Lucien, professeur d’histoire et écrivain en herbe, réside dans l’Arrière-Pays.

Il voyage à la Ville-Pays à la rencontre de Requiem. Meilleurs amis par le passé, ils s’éloignent de plus en plus par leurs convictions : « Requiem avait plus important à faire qu’attendre cet individu qui, au fil des ans, avait perdu toute importance à ses yeux. » p14. Requiem le promène dans la vie nocturne de la banlieue faite de plaisir, sensations fortes, émotions intenses, de chantages. Lucien par contre, plus modéré et pondéré, se concentre sur ses textes.

Mujila lui-même dans une interview oppose ses deux personnages en ces termes : « Requiem est un capitaliste, un aventurier de mauvais goût. Il n’est intéressé que par les mines, la bière et le sexe. Selon lui, la régénérescence de l’humanité passe par sa pourriture. Lucien, pour sa part, estime que le salut du monde est possible grâce seulement à la littérature. » On peut déguster tout au long de l’œuvre des extraits saisissants de ses textes : Lucien se mit à lire un texte où il était question d’une rencontre fortuite à bord d’un train entre un homme et une femme. (…) » p.226

Révolutionnaire, hilarant, imaginatif… c’est le moins qu’on puisse dire de la technique d’écriture de Mujila : « Il est des villes qui n’ont pas besoin de littérature : elles sont littérature. (…) la Ville-Pays, un exemple parmi tant d’autres… Elle vibrait de littérature » p.125. Ou encore « J’ai bu ton corps jusqu’à l’usure de ma soif » p120 : de telles envolées poétiques, dignes d’un Chateaubriand, parsèment Tram 83 et donnent à cette œuvre une allure de poésie romancée.

Les images sont osées, débordantes et pleines d’imagination « pour moi, les préliminaires c’est comme la démocratie. Si tu ne me caresses pas, j’appelle les américains » p186 ; « La nuit portait ses maillots de bain et les tricots de corps qu’elle oubliait d’essorer » p. 53 Le style de phrase n’est pas classique. Elles sont pour le moins kilométriques…

L’autre aspect esthétique saisissant de Tram 83 est sa pratique intermédiale. En effet, c’est une œuvre qui intègre et fédère plusieurs médias. On retrouve les éléments littéraires proprement dits, les références musicales, cinématographiques, photographiques, théâtraux, téléphoniques, architecturaux, etc… au Tram 83, on retrouve toutes les catégories de personnes dont l’auteur s’en inspire pour donner une coloration métissée à son texte. Au Tram 83 on retrouve :

« Ou musiciens par inadvertance ou prostituées du troisième âge ou prestidigitateurs ou pasteurs des églises de réveil ou étudiants aux allures de mécano ou médecins diagnostiquant dans les boîtes de nuit ou jeunes journalistes déjà à la retraite ou travestis ou bradeurs de chaussures de second pied ou amateurs de films pornos ou bandits de grand chemin ou proxénètes ou avocats radiés du barreau ou hommes à tout taire ou ex-transsexuels ou danseurs de polka ou pirates de mer ou demandeurs d’asile politique ou escrocs en bande organisée ou archéologues ou chasseurs de prime à la manque ou aventuriers des temps modernes ouexplorateurs à la recherche d’une civilisation perdue ou vendeurs d’organes ou philosophes de basse- cour ou vendeurs d’eau fraîche à la criée ou coiffeurs ou cireurs ou réparateurs de pièces de rechange ou veuves de militaires ou obsédés sexuels ou férus de romans à l’eau de rose ou rebelles dissidents ou frères en Christ ou druides ou chamans ou vendeurs d’aphro­disiaques ou écrivains publics ou vendeurs de vrais faux passeports ou trafiquants d’armes à feu ou portefaix ou brocanteurs ou prospecteurs miniers à court de liqui­dités ou frères siamois ou mamelouks ou coupeurs des routes ou tirailleurs ou aruspices ou faux-monnayeurs ou militaires en mal de viol ou buveurs de lait frelaté ou boulangers autodidactes ou marabouts ou mercenaires se réclamant de Bob Denard ou alcooliques invétérés ou creuseurs ou miliciens auto proclamés «maîtres de la terre» ou politiciens «m’as-tu vu» ou enfants- soldats ou coopérants à bras le corps mille projets cauchemardesques de construction de chemins de fer et d’exploitations artisanales de minerais de cuivre et de manganèse ou canetons ou dealers ou aides- serveuses ou livreurs de pizzas ou vendeurs d’hormones de croissance, toutes sortes de peuplades envahissent le Tram 83, en quête d’un bonheur bon marché. » p20- 21

Enfin, les approches descriptive et narrative de Mwanza Mujila sont directes est précises. On est loin du réalisme zolien ou balzacien où les descriptions sont longues et encyclopédiques, où la narration est semée d’enchâssements de prolepses et de flash back. Tram 83 est plutôt sobre et son intrigue chronologique, très peu de circonlocutions, avec un langage cru et direct qui développe à merveille le thème de la débauche.

33 Beigbeder, dans la préface de Dernier inventaire avant liquidation, écrit : « Un critique est un lecteur comme les autres : lorsqu’il donne son avis, favorable ou défavorable, il n’engage que lui-même. » Je ne me suis pas ennuyé en lisant Tram 83. Si d’aventure j’avais à me prêter à l’exercice de Beigbeder (classer les livres de cette décennie) l’œuvre de Fiston y figurerait en bonne place. Et je remercie encore les Grands Prix des Associations Littéraires de me l’avoir fait découvrir.

Source: yaoundeinfo.com