Dans son roman «Voici venus les rêveurs» la Camerounaise raconte les heurs et malheurs d’un couple de migrants qui ont quitté leur passé et leur famille dans l’espoir de réaliser le rêve américain
Présentée par son éditeur américain comme la prochaine Naipaul, l’Américaine d’origine camerounaise Imbolo Mbue publie son premier roman, plein de bruits et de fureur. La romancière a puisé dans son expérience d’immigrante de fraîche date aux Etats-Unis pour raconter les heurs et malheurs d’un couple de migrants qui ont quitté leur passé et leur famille dans l’espoir de réaliser le rêve américain. Mais si ce rêve n’était qu’illusion ?
Voici venir les rêveurs, de la Camerounaise anglophone Imbolo Mbue, est sans doute l’un des romans étrangers les plus attendus de cette rentrée littéraire 2016. Le buzz a commencé il y a deux ans lorsqu’à la Foire du livre de Francfort les enchères pour les droits du pré-achat du manuscrit ont atteint la barre d'un million de dollars, du jamais vu pour un premier roman.
L’éditeur américain Random House qui a acheté les droits, fait depuis, une campagne marketing intelligente, livrant au compte-gouttes des informations sur l’auteur et l’œuvre. On a rarement connu un tel suspense pour le premier roman d’une personnalité totalement inconnue au bataillon littéraire. Si le livre qui sort ces jours-ci en librairie n’est pas tout à fait le grand roman du siècle tant vanté par l’éditeur, il n’est pas dénué de qualités littéraires et se lit avec un bonheur certain.
D’une écriture fluide, il raconte l’épopée d’un couple d’immigrants camerounais venus aux Etats-Unis dans l’espoir de faire fortune. Or, le rêve américain n’est pas à la portée de tous, même si le voyage au pays de l’Oncle Sam se révèle être extrêmement instructif pour le couple Jende et Neni, surtout grâce à leur rencontre avec un couple de riches Américains qui deviennent leurs employeurs et dont les vies sont le miroir à travers lequel l’Amérique contemporaine se révèle à eux dans toute sa force et ses fragilités.
Le cadre blanc et le chauffeur noir
«L’idée de ce roman est née un jour de printemps 2011, raconte Imbolo Mbue, lorsque je marchais dans les rues de New York, à la recherche d’un job. Un attroupement d’hommes africains habillés en uniforme de chauffeurs en face de la porte d’entrée d’un immeuble a attiré ma curiosité. Ils bavardaient entre eux en attendant leurs patrons, pour la plupart du temps des cadres blancs tirés à quatre épingles, qui descendaient précipitamment les marches à la sortie de l’immeuble avant de s’engouffrer dans leur berline luxueuse. Le voiturier n’avait pas le temps de fermer la porte que la voiture était repartie. Il m’a semblé qu’il y avait quelque chose à creuser dans la relation entre le cadre blanc et son chauffeur noir.»
Le roman de Mbue s’ouvre sur l’entretien d’embauche de Jende pour un poste de chauffeur personnel, à Manhattan, dans le bureau au vingt-huitième étage de l’un des grands patrons de la banque d’affaires Lehman Brothers. Chaudement recommandé par une connaissance commune, Jende décroche le job et devient le chauffeur de Clark Edwards.
Celui-ci exige de lui fidélité, fiabilité et ponctualité et ne s’attarde pas sur son statut administratif au grand soulagement de l’intéressé. Pour Jende, c’est la fin de trois années de petits boulots et la vie précaire qu’il mène à Harlem avec son épouse Neni et son fils Liomi venus récemment le rejoindre.
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Imbolo Mbue Réparti en courts chapitres, le roman progresse en entremêlant étroitement les vies des richissimes Edwards et celles de Jende et de Neni. «Malgré les différences de classe qui séparent les deux familles, explique l’auteur, elles ont beaucoup en commun. Clark et Jende rêvent tous les deux de réussir pour eux-mêmes et pour les générations futures. Quant à leurs épouses, elles s’inquiètent de l’avenir de leurs enfants. Ils partagent aussi cette confiance infinie dans la terre d’opportunités que sont les Etats-Unis pour les riches comme pour les pauvres.»
Au fur et à mesure que l’intrigue va de l’avant, les rê ves et les convictions des uns et des autres sont mis à rude épreuve par les turbulences de la vie. Quelques-unes des plus belles pages du livre sont consacrées à la dérive psychique et émotionnelle de Cindy Edwards qui, dans la solitude de sa maison de campagne, se confie à Neni, convoquant les fantômes de son enfance miséreuse. Elle souffre aussi des infidélités de son mari et des cruautés de la haute société dont elle fait partie, de son goût immodéré pour l’apparat et le clinquant.
Alors que les Edwards plongent dans des tragédies existentielles, les Jonga se voient confrontés à des problèmes administratifs de plus en complexes liés à leur statut d’immigrés clandestins, avec l’épée de Damoclès de l’expulsion vers le Cameroun au-dessus de leur tête, menaçant à tout moment de réduire à néant leur rêve américain.
Le rêve américain
«C’est un rêve auquel je crois encore, mais après vingt ans de vie américaine, j’ai appris à faire la part des choses entre le rêve et les illusions», nuance Imbolo Mbue qui est arrivée aux Etats-Unis en 1998. Diplômée de l’université de Columbia, elle a connu elle aussi son lot de frustrations et de déceptions, surtout lorsqu’elle s’est retrouvée sans travail à cause de la récession qui a frappé le pays au début des années 2000.
L’écriture sera sa porte de salut. Rien de tel pour son protagoniste qui est ballotté par les tourbillons de l’histoire et de la vie. Jende est d’autant plus amer qu’il a surpris des conversations de son patron sur le scandale des subprimes qui va conduire à la faillite de Lehman Brothers, entraînant par ricochet chômage et misère pour les Jonga. Pour le migrant, réduit à son illégalité, l’Amérique n’est plus «le meilleur pays du monde», au contraire, «c’est un pays plein de mensonges et de gens qui aiment entendre des mensonges». Défait professionnellement et sur le plan administratif, Jende ne peut plus rêver d’un avenir américain pour lui-même ni pour les siens.
Pour autant, le roman d’Imbolo Mbue ne se termine pas sur des larmes et le désespoir. La fin originale et surprenante permet à l’auteur de renouer avec le thème de l’exil et de la «migritude» (néologisme combinant migration et négritude) au cœur des questionnements de la diaspora africaine des Etats-Unis, qui a donné sous la plume des Teju Cole, des Dinaw Mengestu et des Chimamanda Adichie, pour ne citer que ceux-là, quelques-uns des plus beaux textes de la littérature américaine de ces dernières années.
C’est peut-être parce que «Voici venir les rêveurs» aborde la question de la migration sous son aspect uniquement social et politique, oubliant le brouillage identitaire et la nostalgie qui sont les lots des migrants, que ses personnages nous paraissent monolithiques malgré leur vitalité. Ils manquent de profondeur et d’intériorité, empêchant les lecteurs d’adhérer pleinement à leurs élans. Dommage.