Livre: 'Nostalgie' de Enoh Meyomesse

Nostalgie De Enoh Meyomesse Un recueil de poèmes

Tue, 31 Oct 2017 Source: camer.be

« Nostalgie » est un recueil de poèmes écrits en souvenir de mes quarante mois de calvaire à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé au Cameroun.

Il se présente ainsi comme une réflexion sur la vie carcérale dans ce pays, telle que je l’ai subie au plus profond de ma chair.

J’en publie des extraits ici pour saluer le non-lieu des trois journalistes et la relaxe du notaire qui comparaissait avec eux.

Garde à vue …

clin clin clin

et le cadenas sur la serrure

te réveille

DEBOUT BANDITS

il est l’heure des ablutions

avant que la brigade ne s’éveille

avant que le soleil ne se lève

avant que la ville ne se dresse et se mette

à grouiller de monde

DEBOUT ET VITE !

clin clin clin

et le cadenas sur la serrure

te réveille

c’est l’heure du nettoyage

du cachot infect peuplé de lamentations

c’est l’heure d’emplir tes poumons de l’air

du paradis qui dehors est désormais

c’est l’heure de vider ta vessie boursouflée

c’est l’air de remuer tes jambes endolories

c’est l’heure de revenir à la vie

avant de replonger dans la mort

clin clin clin

et le cadenas sur la serrure

te réveille

toi ! le saut

toi ! le balais

toi ! la serpillière

que le trou à rats soit étincelant

que les odeurs pestilentielles s’échappent

PURIFIE-TOI LE NEZ

clin clin clin

et le cadenas sur la serrure

te réveille

il te rappelle chaque matin

que tu n’es plus

du monde des LIBRES

………………………….

Viens à Kondengui

viens à Kondengui 1

et la terre tu verras

DIF

FE

REM

MENT

tes yeux te découvriront

PLUS BAS QUE

EXCREMENT

tu deviendras la honte de ta famille

tu deviendras son humiliation

tu deviendras la risée de tes amis

tu deviendras leur défouloir

d’innombrables gens diront

ah ! on savait

quand un tambour résonne déjà trop

c’est qu’il est sur le point de se percer

tes gosses seront moqués

ton épouse sera raillée

tout tout tout autour de toi

sentira mauvais

viens à Kondengui

et la terre tu verras

DIF

FE

REM

MENT

tes yeux te découvriront

PLUS BAS QUE

EXCREMENT

tu publieras un livre

mais on dira ha ! il l’a écrit en prison

c’est un vilain personnage

et quand à un ami tu téléphoneras

il répondra à la sauvette « je suis au courant !

je suis au courant ! on s’occupe de toi !

on s’occupe de ton affaire ! » et il raccrochera le téléphone

… il changera même de numéro

viens à Kondengui

et la terre tu la verras

DIF

FE

REM

MENT

et lorsque le juge ô ce DIEU MORTEL

LE JUGE le détenteur du souffle des damnés

du haut de son pupitre tout là-bas et de sa TOUTE PUISSANCE te condamnera

les yeux désinvoltes comme d’habitude

si tu n’y prends garde

O CRUCIFIE

si tu n’y prends garde

ta chérie

oui ta chérie

ELLE s’en ira

tu ne la reverras plus

« tant d’années à l’attendre ! jamais !»

je dis

viens à Kondengui

et la terre tu verras

DIFFEREMMENT

tes yeux te découvriront

PLUS BAS QUE

EXCREMENT

……………………..

Toi qui n’as jamais

toi qui n’as jamais connu

la persécution de la police à tes trousses

le gendarme qui te tabasse en ricanant

qui saccage tout chez toi au nom de la loi devant ta progéniture en larmes et toi tu ne peux rien du tout sinon que larmoyer aussi

tu ne mérites point de porter la robe noire

et de t’asseoir LA-BAS DEVANT

toi qui n’as jamais connu la douleur du coup

de pied qui te botte rageusement les fesses et les rend brûlantes au nom de la loi semble-t-il

tu ne mérites point de porter la robe noire

et de t’asseoir LA-BAS DEVANT

toi qui n’as jamais dormi une seule petite

nuit dans une cellule malodorante insalubre et surpeuplée de gendarmerie ou de commissariat et gouter à la violence de « l’enquêteur » ce seigneur qui sort sa matraque et te montre que tu n’es plus rien puis éclate bruyamment de rire lorsque ta bouche hurle ô violation des droits de l’Homme à l’État de droit, etc.,

tu ne mérites point de porter la robe noire

et de t’asseoir LA-BAS DEVANT

toi qui n’a jamais connu les innombrables renvois des gens comme toi en noir vautrés sur leurs pupitres la puissance de la loi entre leurs frêles doigts corrompus êtres plus capricieux que même jeune fille dorlotée par son fiancé

tu ne mérites point de porter la robe noire

et de t’asseoir LA-BAS DEVANT

toi qui n’as jamais séjourné une seule minute au quartier Kosovo au pénitencier de Kondengui où les humains sont des monstres ambulants squelettiques et somnolents parce qu’ils n’ont point de quoi manger ni de place où reposer leurs corps décharnés et recouverts de plaies purulentes et malodorantes

tu ne mérites point de porte r la robe noire

et de t’asseoir LA-BAS DEVANT

je dis

tu ne mérites vraiment point

de t’asseoir là-bas devant un code pénal à la main à décider du souffle des autres humains

car ô grand MAGISTRAT

tu ne sais POINT

ce que c’est que vivre

en PRISON

Source: camer.be