Malgré le contexte sécuritaire délicat le rap fait de la résistance
Rapper contre le terrorisme, inciter la population à la vigilance et militer en faveur du vivre ensemble. Voici une mission que s’évertuent à mener à bien les rappeurs de la ville de Maroua dans l’Extrême Nord du Cameroun.
Chroniqueurs privilégiés de la société et du quotidien, les rappeurs qui s’étaient discrets au début des attaques terroristes de la secte Boko Haram sont montés au créneau depuis peu. Résolus à reprendre leur plume, plusieurs d’entre eux ont manifesté leur soutien aux victimes des attaques kamikazes qui endeuillent chaque semaine de nombreuses familles. Comme une thérapie, leur musique est un pense-douleur en direction des victimes de karawa, kolofata, Mora, ou encore Fotokol. Bien que défendant la liberté d’expression, même en tant de guerre, plus question tout de même d’écrire des textes violents comme on a l’habitude dans certaines chansons de rap.
L’amour de la patrie s’exprime plutôt à travers des vers et des rimes : « les jeunes rappeurs boostés par le sens du patriotisme composent énormément des chansons en ce moment tantôt pour sensibiliser les populations, tantôt pour galvaniser les troupes au front », constate Mongoche Jean promoteur de la structure Njoka Records. Face à la barbarie et à la peur, le hip hop se dresse tel un rempart.
Selon le rappeur Benhony, « la restriction administrative à tort ou à raison appelée couvre-feu dû aux exactions de cette secte pernicieuse tue inexorablement l’art en général et la musique en particulier ». Une triste réalité que note également l’artiste Gaadal G : « les artistes musiciens vivent essentiellement des spectacles dans les lieux public ou dans les cabarets aujourd’hui interdit, les pouvoirs publiques n’ont pas trouver d’alternative à cette situation, laissant les artistes à leur sort obligé de se reconvertir dans d’autres métiers pour vivre. »
Le poète rappeur Pikasso estime pour sa part que les autorités devraient plutôt s’appuyer sur la culture comme étant arme contre le terrorisme : « Ceux qui hier encore, bouchaient les oreilles pour ne pas entendre du rap reconnaissent aujourd’hui que nos mélodies et nos paroles sont bien mieux que le bruit et la fureur du terrorisme, il faut donc faire résonner la musique plus fort que la haine. »
L’Extrême Nord figure au classement des régions les plus pauvres du Cameroun. Le chômage des jeunes y est endémique, la pauvreté des populations alarmante. Un terreau propice pour les recruteurs des groupes terroristes. Selon des experts, même s’il est difficile d’évaluer avec exactitude le nombre de jeunes des localités de l’Extrême Nord qui combattent dans les rangs de la secte Boko Haram volontairement ou enrôler de force, ce nombre est assez élevé.
D’où la nécessiter selon Gaadal G d’éduquer les masse à travers la musique. « La société civile doit s’unir et résister avec ses propres ressources, par l’éducation et par la discussion, en maintenant les échanges intellectuels et artistiques entre les citoyens, en refusant que des criminels mus par une violence aveugle et aliénante viennent faire irruption dans le débat d’idées et s’introduire par effraction parmi les populations », selon lui.
De plus, met-il en garde, si cette musique se retrouvait sous le coup d’une interdiction et les artistes dans l’impossibilité d’exercer, non seulement de jeunes artistes pourraient se tourner vers la violence et les vols, mais aussi des familles verront encore leurs fils partir rejoindre les rangs l’ennemi parce que personne n’aura été là pour les prévenir des dangers de la radicalisation et du terrorisme.