Blouson en cuir rouge, lunettes solaires et coupe blonde. Le temps est passé sur Ntondobe en laissant à son look quelques séquelles. Exit cette punk, star des années 90, qu’il arbore dans le clip du tube « Mbondé » qui fera son succès et sa renommée dans la ronde du bikutsi. En 1999, il a quitté le Cameroun avec des mélodies en tête et des espoirs pleins les bagages.
Le réveil est sonné avec l’album « Les aléas ». Un titre pour conter près de deux décennies vécues en France, avec le rythme bikutsi toujours dans un coin de son cœur. La vie de tous les jours, l’environnement, la famille, cet opus de résurrection se veut diversifié au possible : bikutsi (évidemment et passionnément), rumba, blues et surprise… du hip hop. 12 titres pour étaler son évolution artistique.
Plus évident en revanche, la présence infinie de Dieu dans la plupart de ses chansons. « Ntondobe », mis pour Dieu, devenu « Ntondobe le mâle » pour souligner sa condition d’humain mortel, est décidé à revenir plus humble que jamais.
Le fils de Messam, pas loin de Zoétélé dans le Dja-et-Lobo, région du Sud, n’a pas oublié ses débuts très gospel à la chorale de Messa II à Yaoundé et se plaît toujours autant à citer entre deux phrases, quelques versets bibliques. « Dans tous mes morceaux je dis : Seigneur donne-moi la force et le courage, donne-moi l’inspiration », rappelle-t-il.
Il confie d’ailleurs à CT avoir eu une révélation pour sa chanson composée en l’honneur des Lions indomptables. Plusieurs mois avant la CAN au Gabon, il a prédit la victoire. « La chanson n’a pas été reçue favorablement, parce que dans les médias, on m’a dit que je ne pouvais pas prétendre que les Lions avaient déjà gagné dans ma chanson. Les gens n’y croyaient pas », regrette-t-il. L’avenir lui a donné raison. Si son retour aurait pu être effectué plus tôt avec sa chanson « Allez les Lions », l’artiste a remis à plus tard le come-back.
Pour de chaudes retrouvailles à Yaoundé, Ntondobe, de son vrai nom Faustin Bilomba, a choisi le « Carrossel », le 16 septembre prochain. Au cabaret, véritable antre de la musique bikutsi, où il a assisté nombre de fois à des prodiges signés Zanzibar, Atebass et autres. Ils seront 20 à le saluer sur scène. Ange Ebogo Emerent, Eboue Chaleur, Mbarga Soukouss, Govinal, Ama Pierrot, Racine Sagath, etc. ne résisteront pas à la nostalgie. Et le public aussi, on l’espère… Ntondobe: « J’ai dû sacrifier la musique »
Vous êtes de retour avec un nouvel album « Les aléas », après presque 20 ans. Pourquoi cette longue période d’absence ?
Ntondobe est d’abord un père de famille, un grand-père. Je suis parti du Cameroun en 1999, pour m’installer en France. J’ai voulu donner une autre vie à mes enfants. Donc j’y suis d’abord allé pour m’implanter et après mes six enfants qui sont présentement là-bas, m’y ont rejoint. J’ai pris le temps de les élever. Des fois seul, des fois avec une femme. Avec des hauts et des bas. On s’en est sorti. Ils sont grands maintenant et le dernier a 19 ans. J’ai pris beaucoup de temps pour ma famille. J’ai sacrifié certaines choses comme la musique. En France, je travaillais nuit et jour. Le jour comme agent de sécurité, la nuit en boîte de nuit en tant que videur. Après la boîte de nuit, il fallait travailler encore pour avoir des sous pour que les enfants aillent à l’école. Je n’avais vraiment pas la tête à faire de la musique mais elle était là, dans mon cœur.
Comment avez-vous vécu cet éloignement avec cette musique qui vous a tout donné ?
Dans la musique, si on ne bricole pas, si on ne triche pas, et qu’on naît avec elle, on a la possibilité de la mettre en stand-by. Tu travailles, tu fais des brouillons, tu enregistres et tu mets de côté. Pendant que mes enfants étaient encore mineurs, je ne pouvais pas les laisser seuls. Un voisin qui ne m’aime pas aurait pu me trahir auprès des services sociaux et on me les aurait enlevés. J’ai dû donc d’abord les suivre, les emmener à l’école, au foot, etc. Une fois grands, ils m’ont dit : « Papa tu attends quoi pour reprendre la musique ? ».
Et vous revenez avec l’album « Les aléas ». Pouvez-vous le présenter ?
Dans cet album, il y a des titres que j’avais composés en 1999 quand j’étais même encore au Cameroun comme « L’homme des forêts ». J’avais vécu la dévastation des forêts, je voyais le bois qui partait. J’ai grandi là-dedans parce que je suis du Sud. Donc je voyais des grumiers passer et c’était tellement touchant que j’ai composé ce titre. Après, il y a des titres que j’ai composés en France comme « Les aléas ».
« Les aléas » c’est ma vie, c’est votre vie, c’est la vie de tout le monde. Il existe des aléas de la vie positifs ou négatifs. Cela fait donc plusieurs années que je travaille cet album. Il y a des titres qui ont 15 ans d’âge, car pour mieux sauter il faut reculer. Et après avoir composé, je suis revenu au Cameroun l’an dernier et j’ai travaillé avec Victorien Essono, mon arrangeur. J’ai également travaillé dans le studio « Black Feeling Record » basé à Emombo. J’ai travaillé avec des musiciens camerounais parce que le vrai bikutsi se fait au Cameroun. Il faut revenir à la base.
Tant de chanteurs de bikutsi s’exportent pourtant. Ce rythme trouve-t-il vraiment sa place dans l’univers artistique occidental ?
A vrai dire, en France, le bikutsi n’a pas encore une grande place. Il ne connaît pas de succès. Mais dans les communautés africaines de la diaspora, on continue à danser le bikutsi. Nous sommes invités pour des mariages, des événements ou dans des boîtes de nuit. C’est plus une question de bouche à oreille. Nous devons encore travailler pour la reconnaissance du bikutsi. Zanzibar avait fait un tabac en France. S’il était encore vivant, je crois que ce rythme aurait déjà atteint une autre dimension. Entre-temps, il y a eu beaucoup de triche dans le bikutsi.
Les jeunes chanteurs empruntent l’atalaku qui est un rythme ivoirien et le posent sur le bikutsi. Pourquoi ?
Le bikutsi est pourtant tellement riche avec le Koué, l’Ozila, l’Olantcha, le Bol, etc. En gros, si on fait du bon travail dans les compositions, si on a de vraies mélodies, le bikutsi va se développer. Il faut aussi des messages qui restent. Car de nos jours, il y a des musiques passagères, qui ne font même pas six mois de célébrité. Mon titre « Mbondé » je l’ai fait en 1994 et aujourd’hui je continue à faire des spectacles avec. Même la nouvelle génération danse sur cette chanson.
L’histoire de « Mbondé » est d’ailleurs assez mémorable…
(Rires). Je suis né dans un petit village qu’on appelle Messam, vers Zoétélé (Ndlr : Dja-et-Lobo, région du Sud). C’est là que j’ai commencé la musique. Puis j’ai intégré le groupe des « Martiens » avec Atebass et Ndjang le Zappeur. Après Atebass, j’ai travaillé avec Ange Ebogo, puis j’ai voulu voler de mes propres ailes. J’ai donc fait « Mbondé », qui veut dire « Donné de Dieu ». La vie de mon grand frère à l’époque m’a inspiré. Il n’avait rien, sa maison n’était pas meublée alors que c’était quelqu’un qui était bien financièrement. Ça m’a touché. Quand il s’est rendu compte que la chanson parlait de lui, il s’est énervé. Mais je n’ai pas laissé tomber. J’ai continué à chercher le bon ton avec ma guitare. Ce n’était pas pour me moquer, mais pour attirer son attention. Pas seulement la sienne, mais celle de tous, y compris moi-même. C’est ainsi que j’ai composé « Mbondé ». Et à sa sortie, le titre a fait un boom. Mais avant ce succès, aucun producteur ne voulait de moi. On disait que j’avais un style de chorale. Brice Fouda Fouda lui, malgré tout ce que les gens ont dit, a reconnu que oui, je faisais du bikutsi.
Etant donné qu’on est dans la séquence historique, quelle est l’origine de votre sobriquet Ntondobe ?
Je ne me suis pas levé un matin pour prendre ce nom, qui est riche de sens. Tout petit, je fréquentais énormément les églises. Quand j’ai intégré le groupe « Atebass et les Martiens », nous avions des réunions. Et moi, je citais toujours des versets bibliques en prenant la parole. Alors le feu Ndjang le Zappeur s’est dit : « waouh ! Lui il se prend pour Dieu ? Il se prend pour Ntondobe… ». Atebass a reconnu qu’effectivement, je parlais toujours de Dieu. C’est de là que part ce sobriquet. Les « Martiens » ont commencé à m’appeler Ntondobe, et quand on jouait à « Eldorado » (Ndlr : quartier Mvog-Ada à Yaoundé) le public a adopté ce surnom. Tous m’appelaient Ntondobe. Et lorsque j’ai sorti « Mbondé » j’ai continué avec ce nom d’artiste. Mais lorsque je donnais des interviews, on me demandait ce que signifie mon nom, et je disais « Dieu ». Et certains s’écriaient : comment oses-tu t’appeler Dieu ? Pour faire la différence entre Dieu l’Être suprême et moi, j’ai ajouté « le mâle » pour faire référence à mon humanité.
Qu’est-ce qui différencie les artistes bikutsi des années 90 et ceux de la génération actuelle ?
Dans les années 90, on travaillait par amour pour la musique. Ce qui faisait qu’on aimait nous écouter. Quand on prenait la guitare, quand on jouait du balafon, il y avait de la concurrence. Moi je pense toujours au feu Messi Martin. On disait de lui qu’il était un dieu de la guitare, en plus de chanter très bien. Zanzibar, Messi Martin… ils faisaient des choses que personne n’arrivait à faire. Zanzibar était capable de sortir des notes d’une guitare déréglée ! Ils étaient des bosseurs invétérés. Aujourd’hui par contre, la musique est devenue commerciale. La jeune génération propose des chansons qui agressent les esprits. On ne veut juger personne, mais on constate que la musique est comme le football : il n’y a que l’argent qui intéresse.