Deux semaines que TENOR a officiellement réalisé deux de ses plus grands rêves: signer un contrat avec UNIVERSAL MUSIC AFRICA (filiale de la plus grande maison de disque au monde) et embrasser sa mère devant Black Kent (la version ivoirienne de Stanley Enow).
C’est une réelle performance quand on sait qu’UMG (UNIVERSAL MUSIC GROUP) ne s’était pas réellement focalisé sur l’Afrique Centrale, ayant plutôt signé auparavant des contrats avec KIFF NO BEAT (Côte d’Ivoire) ou Fally Ipupa (RD Congo).
La conférence de presse du 24 Novembre dernier à l’IFC a permis d’assister à l’intronisation du génial rappeur camerounais au statut d’artiste international, puisqu’il fait désormais partie du cercle très fermé d’artistes africains à être liés à une des trois majors de l’industrie musicale (SONY MUSIC ENTERTAINMENT, UMG et WARNER MUSIC GROUP).
C’est aussi révélateur de l’ambition d’UNIVERSAL qui souhaite profiter de l’essor phénoménal de la pop culture africaine pour se faire un peu de sous et accroître leur présence en Afrique, eux qui ne se sont pas toujours remis d’avoir laissé filer WIZKID.
Même si tout ceci semble beau et merveilleux pour le Cameroun, on s’est quand-même posé pas mal de questions à la rédaction de votre webzine préféré : à quoi sert une maison de disque (de nos jours) ? C’est quoi un contrat 360 ? Quelles seront les implications sur la qualité de la musique produite par le rappeur ? Tenor aurait-il mieux fait de continuer en indé ? Décryptage.
Pour bien comprendre tout ce qui sera développé plus bas, nous allons vous faire un petit cours de droit ; prenons l’exemple de DJOUMESSI. DJOUMESSI est un jeune camerounais qui aime chanter et qui se produit pour la plupart du temps dans sa douche, sa chambre et quelque fois aux toilettes.
Rêvant d’une vie de star à la STANLEY ENOW après avoir beaucoup regardé ses posters à la BICEC, il décide de devenir un artiste professionnel et enregistre plusieurs covers et maquettes qu’il s’en ira proposer aux labels de production dans le but de décrocher un contrat de production phonographique (ou encore contrat d’enregistrement).
Dans ce contrat il est question des conditions de travail, de la cession des droits de propriété intellectuelle sur ses chansons et bien sûr de la rémunération (les avances, salaire sur séances d’enregistrements et de tournage, redevances sur l’exploitation des enregistrements et vidéos….). On ne va pas entrer dans les détails mais précisons tout de même ici que l’artiste signe pour l’enregistrement de X albums sur une période de temps de Y années.
Après l’enregistrement du 1er album, le producteur de DJOUMESSI s’en va rencontrer des maisons de disque avec son CD (enregistrement masterisé) pour négocier un contrat de licence ; ce contrat donne le droit au licencié de reproduire, de promouvoir et de commercialiser au public les enregistrements de DJOUMESSI et ce pour une période et sur un territoire bien déterminés par les parties, en contre partie d’une rémunération elle aussi prévue.
Plus la maison de disque est puissante, plus le produit a des chances de bien se vendre et donc de rapporter au producteur et à DJOUMESSI. Mais si le producteur n’est pas content de ce que les maisons de disque lui proposent, il peut directement aller voir un distributeur pour un contrat de distribution. Il aurait ainsi plus de marge sur les revenus qu’avec une maison de disque, mais les ventes potentielles elles vont baisser.
C’est le chemin suivi par Stanley ENOW en Avril 2015 avec ROCKSTAR4000 avec qui il avait signé un contrat de distribution numérique de ses productions.
Là c’était la version hyper simplifiée de comment ça marche dans la musique professionnelle. Bien sûr que tout le monde essaie de frapper tout le monde au sujet de la rémunération et surtout des droits (raison pour laquelle Locko est toujours distribué par BIG DREAMS). Les contrats sont en effet très divers et les clauses dépendent de la force des parties.
A titre d’exemple, Cash Money Records a signé en 1998 ce qui est considéré par la presse spécialisée comme le meilleur deal de l’histoire du rap : un contrat (distribution, promotion et management) de 30 millions de dollars sur 3 ans dans lequel Birdman recevait 2 millions de dollars d’avance chaque année plus 1.5 millions pour chacun des artistes qu’il produirait chaque année, 80% des revenus des bénéfices des ventes et en conservant tous les droits d’exploitation.
C’est incroyable mais compréhensible quand on sait que le label de Lil Wayne était et reste l’un des labels indépendants les plus puissants du Game US. D’un autre côté on se souvient de la fameuse affaire du slave contract de Toni Braxton qui, après avoir écoulé 20.000.000 de disques vers la fin des années 90, se retrouve avec ……….2.000 dollars dans son compte.
Pourquoi ? Elle s’était empressée de signer un contrat qui stipulait que toutes les dépenses effectuées par la maison de disque seraient déduites des ventes tout en conservant tous les bénéfices. Endettée jusqu’au coup, il lui avait fallu beaucoup de temps avant de se refaire une santé financière et de revenir au top.
Alors revenons à notre interrogation première : à quoi sert de nos jours une maison de disque ?! C’est un peu con comme question vu que je viens de présenter les intérêts de la signature avec ce genre de label.
C’est que fabriquer des milliers de CD, en assurer la promotion dans les médias et alimenter les canaux de distribution çà coûte très très cher comme opération ; et le pire c’est qu’il y’a à chaque fois un important de risque de flop. Les tendances évoluent beaucoup, marché est très compétitif et l’appréciation de l’art est très subjective.
Donc le producteur a besoin de partager le risque avec une autre entité juridique. Mais la maison de disque était indispensable avant l’ère du numérique, y compris les labels de production. Plusieurs artistes s’autoproduisent grâce à des logiciels assistés (Fruity Loops etc..), enregistrent dans des studios souvent rudimentaires ou basiques, font leurs promos sur les réseaux sociaux et distribuent leurs chansons sur des plateformes web comme Soundcloud ou Youtube. En réduisant les intervenants dans la chaîne ils augmentent significativement leurs redevances.
Oui c’est beau de chanter mais affaire nkap on ne blague pas. Plusieurs artistes internationaux de premier plan comme Frank Ocean ont claqué la porte de leur maison de disque, les accusant de s’arroger une trop grande part des bénéfices de l’exploitation de leurs œuvres et de trop contrôler leur musique. Après son départ retentissant de War Machine, Tenor était rentré dans ce cas de figure là (autoproduction).
Signer avec une major, en plus un contrat 360, risque de fortement diminué ses revenus futurs.
C’est long hein, mais on finit avec cette dernière question : Ténor aurait-il mieux fait de rester en indépendant ? La question mérite de se poser parce que les succès phénoménaux de singles DO LE DAB et KABBA NGONDO ont fait de lui l’un des artistes les plus bookés de cette année 2017 au Cameroun. Sans faire de grosses tournées à l’étranger le rappeur a réussi à engranger plusieurs millions via de multiples shows.
Mais ce n’est pas toujours pour une question d’argent qu’on signe avec une maison de disque. C’est vrai que c’est le canal principal qui permet de doper l’exposition de l’artiste et du même coup les ventes mais signer chez une major pour un musicien ambitieux équivaut à une promotion. Déjà il y’a le côté prestigieux mais surtout l’opportunité de collaborer avec d’autres artistes de diverses nationalités et de se produire un peu partout dans le monde : en gros c’est la porte d’entrée pour une possible carrière internationale (on peut signer un artiste mais ne rien sortir après).
C’est le meilleur qui puisse arriver à un artiste camerounais, connaissant bien les conditions de travail et de vie très souvent précaires dans lesquelles nos musiciens évoluent.
C’EST L’AFRIQUE QUI GAGNE !!