Les pygmées. Si l’expression peut souvent sembler barbare ou encore péjorative hors du contexte habituel, il est couramment utilisé pour identifier le premier peuple autochtone du Cameroun. Dans les manuels scolaires, on a toujours décrit les pygmées comme étant de personnes de petite taille, qui vivent de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Ils habitent dans des huttes construites avec des feuilles et des bambous, dans lesquels ils vivent avec toutes leurs familles.
Les origines des pygmées
Les origines réelles des pygmées étaient un mystère insoluble. Une difficulté accentuée par l’éparpillement de ce groupe à travers le monde. Serge Bahuchet en parle dans son livre « Les pygmées d’aujourd’hui en Afrique Centrale ». Établir donc une filiation qui existerait entre les différents groupes de pygmées, était devenue une urgence pour les chercheurs. Pour résoudre donc cette énigme, ils sont partis du constat selon lequel, les pygmées ne partagent pas les mêmes habitudes culturelles, même si il y a 3000 ans, ils auraient appartenu à un même groupe de personnes.
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Pour étayer leurs explications, ils ont procédé à l’analyse de plusieurs souches génétiques. Des souches qui ont été prélevées sur des pygmées vivant au Cameroun, au Gabon et au Congo. Les résultats ont indiqué une concordance génétique entre les différents groupes. Tout en soulignant aussi une diversité dans les souches qui s’explique par l’éclatement des groupes. Une séparation rendue possible par l’émergence de nouveaux modes de vie, qui aurait débuté en 2 800 ans. Ce qui a pu montrer que les ancêtres, des ancêtres des pygmées se seraient eux aussi détachés d’autres groupes humains plusieurs années auparavant depuis l’Égypte.
Ils ont démontré aussi que la diversité observée au niveau des gènes était dû aux mariages des femmes. Chez les pygmées c’est la femme qui épouse l’homme, parfois les non pygmées. Lorsqu’elles ne se sentent plus considérées dans leur relation, elles faisaient le choix de rentrer dans leurs familles avec leurs enfants. C’est ainsi que ses enfants allaient à leur tour créer une famille aux origines multiples. Une situation qui a laissé émerger un nouveau profil des pygmées, loin de ce qu’on a toujours appris dans les documents. Aujourd’hui, on trouve des pygmées avec une taille normale. Mais la science continue encore de faire des recherches sur d’autres groupes de pygmées, comme pour dire il y a encore à apprendre des origines des pygmées.
Au Cameroun…
Au Cameroun, on rencontre quatre groupes de pygmées. Les Bakas, l’un des groupes les plus importants, qui comptent près de 40000 individus ou plus. Avec un lignage qui s’étend au Gabon et Congo, ils sont principalement localisés dans les provinces de l’Est et du Sud (Sangmélima, Djoum, Mintom et Dja).
Ensuite, les Bakola qui vivent dans le département de l’Océan, dans la localité de Lolodorf et une partie à la limite des forêts du littoral. Puis vient, les Bagyeli, qui sont du lignage des Bakola, et qui occupent la région du Sud-ouest. Avec leurs frères, on estime leur population à 3000 individus. Enfin, les Medzam très minoritaires, vivent au centre plus précisément dans la plaine Tikar. On estimerait leur population à près de 1000 personnes.
Leur mode de vie
Les pygmées vivent généralement en clan, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à un même ancêtre. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’un membre du clan veut épouser une femme, il doit aller la chercher dans une autre communauté, pour éviter de tomber sous le coup de l’inceste. Avant de se marier, tout homme doit passer par le rite de la circoncision encore appelé le beka’a en langue locale. Chez les pygmées, chaque membre du clan a un rôle bien défini. Tout membre quel qui soit doit se soumettre aux règles du clan de peur d’être sanctionné.
Les anciens représentent la sagesse et l’expérience. Ils conseillent les jeunes et les transmettent leur savoir. L’enfant c’est l’héritage familial. Celui-ci doit se montrer obéissant et disponible. Les femmes sont les garantes de la tradition. Elles prennent les décisions importantes dans la gestion de la famille. Elles sont chargées de construire les huttes. Un savoir faire qu’elles transmettent aux enfants. Les hommes assurent la protection de la famille. Ils sont chargés de veiller aux besoins alimentaires de la famille. Dès que les garçons ne sont plus sous la responsabilité de leurs mères, ils sont à la charge les hommes pour poursuivre leur éducation.
Les pygmées croient à un dieu tout puissant qu’ils appellent Komba. Ils le considèrent comme celui qui a créé le ciel et la terre, dont le créateur de l’univers. A côté, il y a Ed-jengui, le dieu de la forêt qui les protège dans la forêt, leur offre du gibier, les plantes médicinales ou encore d’autres denrées alimentaires. Les pygmées croient à la réincarnation. C’est la raison pour laquelle lorsqu’un membre du clan décède, ils savent qu’il va continuer sa vie dans celle d’un animal ou d’un arbre. Une croyance qui les emmène à s’abstenir de chasser certains animaux ou de couper certains arbres. En désobéissant à cela, ils s’exposent à la colère des « més », d’autres esprits de la forêt.
La sédentarisation des pygmées
L’année 1960 qui marque un grand tournant historique dans le jeune Etat Cameroun, pousse les autorités à lancer un vaste programme d’insertion des pygmées. L’initiation avait pour but d’en faire des citoyens camerounais à part entière. C’est ainsi que les premiers pygmées à bénéficier de cette mesure sont ceux de la région de l’Est dans l’arrondissement de Moloundou. Puis suivront les pygmées du département de l’Océan dans la localité de Bipindi. En 1968, le gouvernement lance l’opération mille pieds inscrit dans le deuxième plan quinquennal pour accélérer la sédentarisation des pygmées. Mais le projet n’ira pas jusqu’au bout.
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Les pygmées sont certes les premiers habitants du Cameroun mais leur représentativité est presque inexistante au sein de la société. Très peu ont la chance d’aller à l’école ou encore d’avoir accès à certains besoins primaires. Une marginalisation qui les oblige à fuir la modernité. La forêt qui est leur espace de vie, est menacée de déforestation par des entreprises qui viennent couper du bois. Envahis dans leur environnement, certains sont obligés de se déplacer dans les zones plus reculées ou encore de troquer malgré eux leur mode de vie de nomade à celui de sédentaire.
Un changement de mode vie qui a une conséquence sur le nouveau regard qu’on porte sur certains pygmées. Ils ne vivent plus dans la forêt, leur savoir faire sur le plan de la médecine traditionnelle est entrain de disparaître. Une aliénation qui nous pousse à nous interroger si dans quelques années, on aura encore des pygmées authentiques ?