«400.000 pour des cheveux ? », s’étonne Guy. Les personnes autour de lui s’en amusent et essayent de le rassurer que ce prix est le plus bas qu’on lui propose. En cette matinée pluvieuse, c’est au marché Mokolo de Yaoundé que le jeune instituteur a décidé de faire des emplettes pour faire plaisir à sa compagne.
« Je l’entends tout le temps parler des péruviennes, elle me rabâche les oreilles avec çà depuis plus d’un an, et, comme c’est bientôt son anniversaire, je me disais que je pouvais lui en offrir », explique-t-il. Un, deux, trois vendeurs plus tard, Guy se désiste et opte finalement pour une paire d’escarpins à 30.000 F.Cfa. Un client de perdu, dix de retrouvés pour les vendeurs qui ne lui courent pas après.
« Des clients comme ça, on en voit ici tous les jours », nous dit un. Assis sur leur tabouret, devant leur comptoir, les vendeurs appellent tous ceux qui viennent à passer, en leur proposant différents types de cheveux : « il y a tout ici, tu veux quoi ? », demandent- ils. En effet, les cheveux ici de tout genre : colorés, noirs, raides, ondulés, bouclés, gaufrés. Ce sont des cheveux qui viennent de tous les quatre coins du monde.
On parle d’indiennes, de brésiliennes, de péruviennes, de chinoises, et même de « métissées ». Ces cheveux sont disposés sur des étagères, de la plus petite à la plus grande. Selon le genre sollicité, les vendeurs se rendent au magasin situé à l’intérieur du marché. Tout se vend en boule (l’unité de mesure des cheveux), et tout est question de taille. On parle alors de pousses (10 pousses= 10 cm, etc…) en règle générale, plus la mèche est longue, plus elle coute cher.
Les prix ici vont donc de 40.000 à 150.000 F.Cfa selon le type de mèche choisie. Sûrs de leur marchandise, les vendeurs de cheveux au marché Mokolo discutent peu avec les clients pour décider de combien les clients leur remettront. « Je suis confiant, ma marchandise est la meilleure dans le marché, vos allez repartir et revenir ici vous-même », nous dit l’un d’eux. Mais, ils sont tout de même conscients de la difficulté que certains clients peuvent éprouvé à payer leur marchandise. Raison pour laquelle, aux plus hésitantes, ils proposent de temps à autres deles régler en plusieurs tranches.
Un business qui s’étend
Depuis près de dix ans, le commerce des cheveux connait un essor non-négligeable. Salons de coiffures, instituts de beauté, marchés, parfumeries, particuliers, nombreux sont les personnes, hommes et femmes, qui se lancent à corps perdu dans ce business. Ainsi, il est désormais difficile de trouver un espace sans cheveu. Les prêts-à-porter auparavant réservés aux vêtements et accessoires en sont aussi parés de nos jours. Christelle, 26 ans, a rejoint le mouvement il y a trois ans. « En revenant d’un voyage en France, j’ai découvert que beaucoup de femmes autour de moi voulaient des mèches de bonne qualité, à des prix raisonnables.
A l’époque, s’offrir des mèches brésiliennes coûtait encore les yeux de la tête », raconte l’étudiante en commerce international. Après quelques mois de prospection, d’étude du marché et d’économies, Christelle décide de devenir revendeuse de mèches à Yaoundé. Pas de local pour elle, tout se fera à la maison. Le bouche à oreille se chargera de communiquer autour de son activité. « J’ai misé sur la qualité de mes mèches, et surtout mes prix sont imbattables », dit-elle, confiante.
Une fois le projet établi, l’étudiante effectue un premier voyage d’affaire en France encore. Sur place, elle découvre grâce à une amie coiffeuse, un circuit de vente de mèches venus du monde entier. Il s’agit d’une usine tenue par un Turque, dont les prix sont plus qu’abordables. La philosophie du propriétaire est de vendre tout, au prix de gros.
Une fois la connexion établie entre l’importateur et Christelle, son business débute. Pour le lancement de sa vente de mèches, elle aura dépensé en tout 2500 Euro, soit 1.625.000 F.Cfa. Au début, elle n’achète que des mèches qu’elle imagine ses amies et elle porter. Elle ne se fie qu’à son seul instant dans les choix. Une fois revenue au Cameroun, grande est sa surprise lorsqu’on lui demande des coupes osées,des couleurs « flashy ».
« Ma première expérience n’était pas la meilleure, il a fallu que je persévère pour qu’aujourd’hui je puisse réellement vivre de cette activité », se souvient Christelle. Au fur et à mesure, elle aiguise a technique, si bien qu’elle peut désormais se permettre de prendre des mèches chez son fournisseur à crédit.
Néanmoins, elle commande seulement lorsque ses clientes en éprouvent l’envie. « Comme ca au moins je suis sure de ne pas me retrouver avec des mèches non-vendues en main », explique-t-elle. Depuis le temps, la première expérience lui a servi de leçon, et, aujourd’hui, elle engendre des bénéfices avoisinant le double de ce qu’elle a investi au départ. Les affaires marchent si bien que, tout récemment, elle s’offrait une voiture. Un 4x4 à deux portières, de quoi se balader à travers la ville, pour livrer toutes ses clientes. Sa dernière année en école de commerce également a été financé par ses cheveux importés.
Une clientèle « sélecte »
Dans un cadre chic, propre, et imposant, Arielle, 35 ans, a ouvert sa boutique spécialisée en vente de mèches « humaines ». Située dans un quartier du centre-ville de Yaoundé, elle ne passe pas inaperçue. Bâtiment en baie vitrée, moquette toujours impeccable, lumières tamisées, musique « cool » dans les plafonniers, la boutique en jette.
Quand vous y entrez, le garçon chargé de l’accueil vous demande tout de suite s’il peut vous aider. Quelques minutes plus tard, la propriétaire elle-même vient à vous. Elancée, elle dépasse sa clientèle d’au moins une tête, et est obligée de se courber pour faire la bise à certaines de ses connaissances. Elle-même porte ses mèches qui lui tombent en cascade dans le dos.
Elle vous donne envie de les toucher, et elle vous y encourage même d’ailleurs. « On dirait des vrais cheveux », s’exclame une cliente. « C e sont des vrais cheveux », répond la propriétaire des lieux. Dans la boutique d’Arielle, les clientes sont en général « des femmes de ». C’est-à-dire des épouses d’hommes d’affaires, d’ambassadeurs, des entrepreneuses, etc…« Nous visons un certain type de clientèle que nous visons.
On met tout en oeuvre pour que ces personnes soient favorables à l’achat de notre marchandise quand elles viennent ici », nous confie Arielle. Loin des vendeurs assis sous le soleil de Mokolo, Arielle enregistre un chiffre d’affaire qui s’élève à plusieurs millions de F.Cfa. Pour une affaire ancienne d’à peine un an, la propriétaire elle-même en est étonnée.
« Je ne m’attendais pas à un tel accueil, mais je ne me repose pas sur mes lauriers, je continue de me battre pour offrir le meilleur à mes clientes », ajoute-t-elle. Si Arielle, elle, a à faire à des clientes nanties, il existe également des femmes n’ayant pas de moyens qui rêvent de porter des cheveux au prix exorbitant. Les étudiantes sont ainsi les principales clientes des particuliers tels que Christelle et ceux du marché Mokolo.
Elles sont connues pour faire des sacrifices énormes pour s’offrir des mèches « de star ». Claude, 26 ans, au chômage en a toute une collection. La plupart de ses mèches sont longues, très longues. Elles sont toutes noires, et lui viennent d’un vendeur nigérian installé au marché Mboppi de Douala. Cela plus de deux ans qu’elle s’en procure au moins deux chaque année. Elles lui coutent entre 150 et 300.000 F.Cfa.
« Avant, quand ma mère me donnait mon argent de poche du mois, je retirais une partie pour m’acheter des mèches. Quand elle est décédée, l’argent que les personnes nous donnaient pendant le deuil m’a permis d’acheter les deux dernières que je me suis offerte », se souvient Claude. S’offrir des mèches est une manière pour la jeune fille de « se faire plaisir ». Tous les vendeurs de mèches et autres types de cheveux mettent en avant la bonne qualité de leur marchandise. Mais, une immersion dans ce domaine prouve qu’il existe une contrefaçon grandissante.
Une qualité douteuse De prime à bord, la caractéristique des mèches brésiliennes et autres est qu’elles proviennent de vraies femmes. Une étude en Grande-Bretagne démontrait déjà en 2012 que la demande en mèches était en hausse de 160°/°. Et, depuis le temps, elle n’a cessé d’augmenter. Dans le classement des pays exportateurs de cheveux, les Etats-Unis et la Chine étaient premiers.
Devant l’Europe de l’Est, l’Inde et l’Amérique latine qui regorgent pourtant de femmes susceptibles de vendre ou de faire don de leurs cheveux. C’est ici alors que se dessine le côté obscure de l’industrie du cheveu. Plusieurs histoires sordides en rapport avec la provenance de ces cheveux « de femmes » circulent.
Certains parlent de cadavres abandonnés dans la rue ou de de Macabées en décomposition qui feraient la joie de plusieurs personnels de morgues européennes. Mais, la réalité est que les cheveux sont offerts en sacrifice dans des temples indiens. Des femmes et des enfants les donnent dans ces lieux de prières, en échange de prières exaucées.
Toutefois, ces mêmes temples les revendent sur internet, ou les donnent aux plus offrants. Dans les autres pays où les cheveux longs et naturels sont un gage de beauté, les femmes qui rencontrent des problèmes financiers doivent être dans le désespoir « pour songer à vendre un tel atout », nous confie un exportateur de mèches humaines.