À 30 ans, Dosseh sort son premier album, "Yuri", au début du mois de novembre. Un album riche et soigné, qui nous rappelle que le rappeur français d'origine camerounaise est loin d'être un nouveau venu dans le rap hexagonal. Entretien avec l'homme à la barbe rouge.
Douze ans après sa première mixtape, Dosseh sort son premier album studio, « Yuri »(Capitol/Universal, sortie le 4 novembre). Le jeune homme fait partie de cette génération d’artistes qui a grandi à l’âge d’or du rap français des années 1990 (Time Bomb, Secteur Ä…), sans pour autant en garder une nostalgie castratrice.
Au contraire, en s’entourant de beatmakers africains et européens, connus comme inconnus, en invitant des pointures comme Booba ou Young Thugh et en abordant selon l’inspiration du moment des thématiques sérieuses sans jamais sacrifier l’écriture, il embrasse l’énergie créatrice et populaire de la scène rap contemporaine, qui ne connaît ni frontières, ni contraintes.
Jeune Afrique : Vous êtes né dans le département français du Loiret, mais vos parents sont originaires d’Afrique. Avez-vous un lien fort avec le continent ?
Dosseh : Mon père était camerounais et ma mère est togolaise. J’ai grandi en France et j’ai eu peu de liens avec le continent. La première fois que je suis allé en Afrique (à l’âge adulte, NDLR) c’était il y a deux ans pour le décès de mon père. Il vivait en France, mais nous l’avons enterré au Cameroun. C’était la première fois depuis mes 4-5 ans que je retournais en Afrique.
La seule partie de notre histoire que nous connaissons est rédigée par d’autres personnes que nous
Mais j’ai commencé à m’intéresser sérieusement au continent à partir de mes 14-15 ans, à l’âge auquel tu commences à te construire. Ça correspond à l’arrivée d’internet dans les foyers, avec les sales forfaits de 10 heures d’internet par mois ! J’ai commencé à faire des recherches sur l’histoire des Noirs. Je me demandais : « Mais les Noirs, ils faisaient quoi avant l’esclavage ? ». La seule partie de notre histoire que nous connaissons est rédigée par d’autres personnes que nous, et dans un contexte bien précis. C’est comme ça que je me suis intéressé à ma communauté.
Dans votre album, un morceau a d’ailleurs tout particulièrement retenu notre attention , « Le temps béni des colonies ». Comment est né ce morceau ?
C’est l’un des derniers morceaux que j’ai fait, et en écoutant l’album je me suis dit qu’il avait toute sa place. Cela fait longtemps que je voulais aborder dans un morceau les thématiques qui concernent les problèmes de la communauté noire. Des problèmes qui sentent le « seum » (la colère, NDLR) !
L’ambiance en France est anxiogène d’une manière générale. Ce que je veux dire dans ce morceau, c’est que si un Noir n’est pas dans le divertissement le plus total, on le qualifie tout de suite de Black Panther, de pro-Noir. Il n’y a que l’association des Noirs qui pose problème en France. On ne reproche jamais aux Blancs, aux Juifs, aux Chinois, aux Arabes de s’entraider. Quand nous voulons faire quelque chose, il faut systématiquement que d’autres gens interviennent. J’ai l’impression que ce traitement n’est réservé qu’aux Noirs. Alors qu’en réalité, les gens ont juste parfois l’envie de s’organiser entre eux, pour eux, comme des grandes personnes.
Ce qui me plaît c’est que le morceau parle à tout le monde, aux Blancs et aux Noirs
Ces questions postcoloniales occupent aujourd’hui une place importante dans le débat en France…
Oui. Les faits divers que nous voyons tous les jours en France et ailleurs, comme Alton Sterling ou Adama Traoré, sont aujourd’hui énormément relayés sur les réseaux sociaux et font que notre parole a aujourd’hui beaucoup plus d’écho. Mais internet a aussi des mauvais côtés, beaucoup de conneries sont dites. Mais au moins ça a ce bon côté-là.
Comment le morceau a-t-il été reçu ?
Le succès de ce morceau est une surprise. Ce qui me plaît c’est qu’il parle à tout le monde, aux Blancs et aux Noirs. Et c’est important pour moi. Ma hantise en tant qu’artiste qui veut toucher le plus de monde, c’est que certains sujets n’intéressent que les Noirs. Car mon avis n’est pas un avis que je donne qu’aux Noirs, c’est un avis que je donne aux gens, à tous ceux qui ont des oreilles : « Écoutez ce qu’un jeune Noir comme moi a à dire ».
« Yuri » est votre premier album. Quand avez-vous débuté le travail ?
Ça a commencé fin 2015. Musicalement on est très content du résultat.
Avec quels beatmakers avez-vous travaillé ?
Pour « Le temps béni des colonies » j’ai travaillé avec un mec que je ne connaissais pas qui s’appelle DST. Il m’a envoyé des instrus par mail. Ça rentrait totalement dans l’esprit de ce que je voulais faire. Il y a Therapy, Redrum Music qui vient de Belgique, Jo Mike qui a fait la très belle instru de « Infréquentables » avec Booba, Richie Beats pour « Afrikan History X »… Puis il y a aussi un beatmaker ivoirien qui a fait « keblo ». Lui aussi ma envoyé son travail par mail.
Comment s’est passée votre collaboration avec Booba ?
Je voulais l’inviter sur l’album. J’hésitais entre un morceau qui ravirait tous les fans de rap de la première heure, ou faire quelque chose qui divertit tout simplement, que tout le monde peut écouter, homme, femme, jeune, vieux… Moi je suis avant tout un amoureux de musique. Et c’est cela que j’ai choisi. Je suis content, les gens l’aiment.
Booba contribue au bon fonctionnement de notre musique
Quel regard portez-vous sur son parcours ?
Moi j’ai grandi en écoutant ses sons. Et déjà à l’époque tout le monde parlait de lui : il était déjà un des boss parmi les rookies (les nouveaux, NDLR). Après son passage en prison, il revient avec Lunatic. Encore une fois il s’impose, dans le rap sombre et indépendant. Après, pareil en solo. Et aujourd’hui, vingt ans après il est encore au top, et je fais un truc avec lui. À tout cela, tu ajoutes l’aventure OKLM : en un an il monte un site, une radio et une télévision… C’est une pièce maîtresse du jeu et il contribue au bon fonctionnement de notre musique. Ça force le respect.
Avez-vous une oreille sur ce qui se fait en Afrique, notamment avec la montée en puissance de l’afrobeat ?
Bien sûr, après je suis pas un mec pointu, j’écoute ce que tout le monde connaît : les Nigérians, comme Wizkid, qui bousillent la planète entière avec leurs sons. Puis il y a aussi l’artiste produit par mon frère au Cameroun, Magasco qui est très fort. J’avais d’ailleurs fait un morceau avec lui sur ma mixtape estivale, « Oublier ». Le clip a été tourné au Cameroun, c’était mon deuxième voyage au bled.
Votre frère c’est Pit Bacardi, qui a occupé lui aussi une place importante dans le rap français dans les années 1990-2000. Il suit votre travail ?
Oui bien sûr, il suit de très près ce que je fais. On se parle très souvent.
Et le rap, c’était mieux avant ?
Les mecs qui disent ça ne fouillent pas. Aujourd’hui les rappeurs sont plus polyvalents, ils chantent, ils bossent les mélodies. Tout le monde peut trouver son bonheur aujourd’hui : celui qui cherche du texte comme celui qui cherche de l’enjaillement. Il y a de tout.
Et pour ceux qui veulent écouter des messages uniquement contestataires, ils n’ont qu’a acheter des cassettes de conférenciers ! Le but est avant tout de faire passer un bon son. Ceux qui ne jurent que par Mob Deep, je leur dis : « Mais tu crois que Mob Deep il parlait de l’Afrique ? Non, il ne parlait que de drogues, de deal, d’armes et de putes ». Ces gens-là ne sont pas cohérents avec eux-mêmes. Et à l’époque des Mob Deep, il devait y avoir des connards qui te disaient que le vrai rap c’était KRS One.