La réunification des deux Cameroun s’est davantage consolidée par l’instauration du parti unique, devenu dès lors le laboratoire d’expérimentation des méthodes qui seront utilisées pour souder les deux morceaux du Cameroun, dont les fissures n’adhéraient pas forcément.
Dans le processus de réunification des deux Cameroun, tel que conçu et implémenté surtout pour la rendre factice, Ahidjo entreprit, en plus des récompenses politiques à travers les nominations, de réunir tout le monde dans une même formation politique. Lui-même était président du parti dénommé l’Union camerounaise. selon Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, « encore mal assuré du loyalisme des agents étatiques et méfiant à l’égard d’une classe politique sudiste trop turbulente à son goût, Ahidjo s’appuie de plus en plus sur son parti pour imposer son autorité et cristalliser autour de sa personne une « unité nationale » que l’administration coloniale française avait tenté dans les années précédentes de diviser selon des clivages « ethniques. » L’indépendance acquise, le nouveau régime reprend à son compte l’idée, portée par les upécistes dès sa création, de transcender de tels clivages. Structure plus souple et mieux contrôlable que l’État, l’Union camerounaise (UC) devient ainsi, dans les années 1961-1962, une sorte de pouvoir parallèle à la puissance étatique. Moussa Yaya s’est beaucoup dépensé depuis le congrès de Maroua de septembre 1960, au cours duquel le président du parti et de la République avait appelé à la constitution d’un « grand parti national », pour accroître l’audience. Comme il l’avait fait en 1958-1959 pour asseoir le parti dans le Nord, Moussa Yaya sillonne maintenant le sud du Cameroun, où la domination d’Ahidjo reste mal acceptée, pour encarter les notables, les membres de l’administration, les « élus » locaux ou nationaux. Le parti est donc conçu, d’abord, comme une machine de « rassemblement ». L’entreprise, jouant sur la menace, la séduction et la corruption, rencontre un certain succès. Charles Assalé, qui cherche à conserver son poste de Premier ministre, adhère à l’UC et laisse le parti présidentiel absorber son Mouvement d’action nationale (MANC) en janvier 1961. Trois mois plus tard, l’UC avale le Front populaire pour l’unité et la paix (FPUP) de Pierre Kamdem Ninyim. Sans remettre en jeu leur mandat, les députés changent d’étiquette, du jour au lendemain, donnant à l’UC une majorité écrasante à l’Assemblée nationale. Comprenant que l’appartenance au parti présidentiel est une carte utile en ces temps de promotion sociale accélérée, nombreux sont les ambitieux à rejoindre, à tous les échelons, les rangs du parti au pouvoir. Lequel est certes en train de devenir un « office d’embauche », comme le reconnaît Moussa Yaya, mais se transforme simultanément, en un temps record, d’un parti presque strictement régional en un « parti de masse » présent sur tout le territoire. Dans un premier temps, la qualité et la motivation des adhérents ne sont pas les préoccupations essentielles. Ahidjo et ses compagnons, qui promettent que la « démocratie interne » sera scrupuleusement respectée, cherchent avant tout à former le rassemblement le plus large possible.
Les méthodes utilisées pour arriver à un parti unique, seront plus tard dupliquées pour obtenir un Etat dit unifié. Tout comme l’adhésion au parti unique sera obligatoire sous peine de punition pour subversion, telle sera également l’adhésion à l’Etat unitaire, c’est-à-dire obligatoire au risque d’être taxé d’antipatriote. Rien ni personne ne pouvait y échapper surtout qu’on a eu par la suite à faire à un parti Etat ou à un Etat parti, le tout étant comme bonnet blanc, blanc bonnet
L’unité dans le parti d’abord
Présenté comme le ferment de l’unité nationale, l’UC est avant tout conçue comme un parti « apolitique » qui doit absorber tous les mouvements politiques concurrents et fédérer, région par région, tout ce que l’administration coloniale appelait jadis les « oppositions africaines » à l’UPC. Le seul programme de l’UC est d’être anti-UPC. Mais, comme il est difficile de faire accepter à tout le monde le ralliement au parti présidentiel, celui-ci se transforme rapidement en machine à écraser les adversaires. Ce n’est donc que dans un second temps que le parti cherche en sous-main à inculquer aux adhérents une idéologie susceptible de transformer les militants en soldats de l’ordre établi. Une stratégie en deux temps que Moussa Yaya avait implicitement définie au congrès de Maroua en septembre 1960. Il faut, avait-il déclaré, « créer chez nous la cohésion et l’enthousiasme » et « chez nos ennemis le désordre et la peur ». Au cours du premier « stage de formation » organisé en août 1961 pour les cadres de l’UC, Samuel Kamé va plus loin encore dans la définition de ce que doivent être, selon lui, le rôle et l’organisation du parti… Outre le rôle purement « technique » qu’il accorde aux partis « politiques », Kamé se tourne vers les partis totalitaires pour s’inspirer de leurs méthodes. L’idéologue de l’UC réclame la mise en place d’un « plan de guerre » et d’un « calendrier d’opérations » pour réduire l’opposition à néant. … Les recettes de Kamé, synthèse tropicale des méthodes stalinienne et nazie, mais se rapprochant également des techniques de « guerre révolutionnaire » théorisées par l’armée française depuis la guerre d’Indochine, ne seront pas appliquées aussi rapidement, ou en tout cas aussi brutalement, qu’il l’aurait voulu. Bien qu’en accord avec son conseiller, Ahidjo fait montre d’une plus grande prudence. Il sait qu’à l’intérieur du parti, notamment parmi les nouvelles recrues, certains restent encore attachés aux « chimères » démocratiques et au respect des « droits de l’homme ». Il sait aussi qu’il existe, à l’extérieur du parti, des formations concurrentes qui, bien que marginales, pourraient profiter d’une radicalisation trop rapide et trop voyante de l’UC pour se refaire une santé. Ahidjo avance donc sur la pointe des pieds. Au cours d’une conférence de presse, le 11 novembre 1961, il propose que le « grand parti national » qu’il appelait de ses vœux au congrès de Maroua, un an plus tôt, devienne un « grand parti national unifié ». Ce parti unifié, qui s’appellera Union nationale camerounaise (Unc), servira de laboratoire pour l’unité de la nation. Les méthodes utilisées pour arriver à un parti unique, seront plus tard dupliquées pour obtenir un Etat dit unifié. Tout comme l’adhésion au parti unique sera obligatoire sous peine de punition pour subversion, telle sera également l’adhésion à l’Etat unitaire, c’est-à-dire obligatoire au risque d’être taxé d’antipatriote. Rien ni personne ne pouvait y échapper surtout qu’on a eu par la suite à faire à un parti Etat ou à un Etat parti, le tout étant comme bonnet blanc, blanc bonnet
Roland TSAPI