Traqués dans d’autres pays africains, les fraudeurs ont trouvé un terrain propice à leur activité qui, non seulement menace la sécurité de l’Etat mais aussi coûtera plus de 22 milliards F.Cfa à l’économie nationale en 2015. Il fallait bien se douter que quelque chose ne tourne pas rond dans cette affaire ; tant il est étonnant de recevoir un appel téléphonique de l’étranger et de voir s’afficher un numéro local.
Vérification faite, ce numéro n’est pas en mode roaming, car bien souvent la personne a quitté le Cameroun depuis plusieurs années. L’explication se trouve dans ce qui est connu comme la fraude par Simbox. Les fraudeurs détournent les appels internationaux de leurs circuits formels pour les faire passer par des canaux frauduleux sur Internet.
La Simbox est le dispositif technique qui rend possible cette fraude. Dès lors, les appels internationaux se font sur le réseau des opérateurs de téléphonie locaux à l’insu de ces derniers. « Au Cameroun, il y a des individus disposant de centaines de cartes Sim à numéro local. Ces cartes fonctionnent dans un appareil Simbox connecté à l’Internet haut débit.
Cette connexion constitue le lien avec un partenaire installé dans le pays étranger d’où l’appel est émis. Cet appel arrive dans la Simbox qui l’enregistre automatiquement sur une puce locale par laquelle l’appel est reçu au Cameroun. Ainsi, le trafic international est transformé en trafic local », explique Alain Nkondjoc, Fraud Manager chez MTN Cameroon.
L’expert en télécommunications affirme que l’opération frauduleuse se déroule à l’insu des deux personnes qui sont au bout du fil. Et même si elles se doutaient de quelque chose, la fraude leur profite sur le coup car, dans ces cas précis, la communication coûte moins chère.
« En France par exemple, j’ai acheté à 6 euros une carte donnant droit à 30 minutes d’appel vers le Cameroun », confie un journaliste camerounais, habitué des séjours dans l’Hexagone. Dans ces opérations, les consommateurs communiquent moins cher et les fraudeurs amassent de l’argent sur le dos de l’Etat du Cameroun et des compagnies de téléphonie locales.
Manque à gagner
Il faut bien comprendre que plusieurs acteurs ont chacun sa part dans la facture d’un appel international légalement reçu au Cameroun. Il y a l’opérateur de téléphonie du pays étranger et l’opérateur local. Entre les deux, il y a l’intermédiaire qui transporte le trafic international. Puis l’Etat du Cameroun perçoit les taxes sur cette activité commerciale.
Mais, si le même appel international prend des canaux frauduleux pour devenir un banal appel local entre les numéros d’un même opérateur, les droits perçus sont dérisoires pour cet opérateur et pour l’Etat. Du coup, voilà les deux acteurs qui perdent dans cette fraude qui, réalisée à grande échelle, génère un manque à gagner de plusieurs milliards de F.Cfa engrangés par les fraudeurs.
L’opérateur local perd parce que son réseau abrite un trafic sur lequel il n’a aucun contrôle. Ces communications clandestines atteignent des millions de minutes, pour lesquelles l’entreprise ne perçoit aucun copeck. Soit plusieurs milliards de F.Cfa sur l’année.
Pour 2015, les opérateurs de téléphonie tablent déjà sur 100 millions de minutes qui équivalent à 18 milliards de pertes à partager entre les quatre compagnies de téléphonie opérant au Cameroun, à savoir Mtn, Orange, Nexttel et Camtel. En 2014, ces sociétés avaient perdu quelque 7,5 milliards pour les 60 millions de minutes de communication ayant échappé à leur contrôle.
Les pertes de l’Etat se chiffrent aussi en milliards de F.Cfa que le Trésor public aurait encaissés s’il était possible de taxer cette activité faite sur le marché noir. En 2014, le montant a atteint 1,8 milliard. Cette année, le manque à gagner est estimé à 4,2 milliards. Ces montants seraient même plus importants s’il fallait inclure l’impôt sur les sociétés imputable à ces opérateurs clandestins.
Toujours est-il qu’en l’état actuel des données disponibles, l’économie camerounaise a perdu 8,3 milliards en 2014 et va perdre 22,2 milliards en 2015. « La progression est exponentielle d’une année à l’autre », s’exclame le directeur général adjoint de Mtn Cameroon, Serge Esso. Un cri qui signale l’urgence de la riposte.
Ce jeudi 8 octobre 2015 était jour de sommet consacré aux enjeux et perspectives de la lutte contre la fraude par Simbox au Cameroun. L’initiative est portée par Mtn Cameroon en partenariat avec la Fondation Solomon Tandeng Muna. Il y avait, réunis tous les acteurs pouvant jouer un rôle : les entreprises de téléphonie, le ministère des Postes et Télécommunications, l’Agence de régulation des télécommunications, la police, la gendarmerie, etc.
Des travaux placés sous le parrainage du Premier ministre, Philémon Yang. Pour sa toute première sortie en tant que ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Li Likeng a personnellement ouvert le sommet.
Le phénomène des appels internationaux par Simbox ne touche pas seulement le Cameroun, mais l’ensemble du continent africain. Seulement, les participants du Sommet de Yaoundé s’inquiètent de la croissance galopante du mal dans le pays. « C’est bien la preuve que le Cameroun est de plus en plus ciblé par cette mafia internationale », conclut un expert travaillant sur la question. La raison est toute simple, poursuit-il : « Traqués dans plusieurs pays comme le Nigéria, le Ghana ou encore la Rd Congo, ces fraudeurs ont trouvé au Cameroun un territoire propice pour mener leur activité illicite. »
Boko Haram
Le Cameroun est bien ce pays où les cartes Sim sont encore vendues dans la rue au tout venant, sans forcément identification préalable. Les sociétés de téléphonie sont pointées du doigt, elles qui, jusqu’ici, ont davantage été préoccupées à vendre des puces sans toujours veiller à la bonne identification des acheteurs. « Les fraudeurs ne peuvent pas rêver mieux puisqu’ils ont besoin d’un maximum de puces téléphoniques. Il y en a qui ont jusqu’à 1.000 puces.
Ainsi, ils peuvent limiter l’usage de chacune d’elles, afin que l’opérateur ne suspecte rien du tout », s’inquiète un commissaire de police. La conséquence est la difficulté à mettre la main sur les fraudeurs quand bien même des puces sont détectées dans le réseau.
En effet, celles-ci sont identifiées au nom des personnes fictives ou non localisables. Il y a de quoi avoir des sueurs froides sachant que la porte est ainsi ouverte à la criminalité internationale et à toute menace sécuritaire à l’heure où sévissent les terroristes de Boko Haram. « Avec la fraude par Simbox et la vente incontrôlée des puces électroniques, les opérateurs de téléphonie ne peuvent plus nous aider à retracer les appels des terroristes, le cas échéant », avoue le commissaire de police.
M ais les opérateurs de téléphonie répondent que le risque est aggravé par l’établissement des fausses cartes nationales d’identité (cni). Sur ce point, la police est interpelée par la directrice générale de MTN Cameroon, Philisiwe Sibiya, pour qui la faute ne saurait être entièrement rejetée sur les entreprises.
Elle appelle d’ailleurs à cette synergie des actions qui manque encore, pourtant voici déjà deux ans que sont produits des chiffres ahurissants sur la fraude par Simbox au Cameroun. Le gouvernement jouera sa partition, a promis la ministre des Postes et Télécommunications. Minette Libom Li Likeng a d’ailleurs annoncé la création d’un centre de contrôle et de supervision des trafics téléphoniques.
Dans cet environnement, un texte peut permettre de limiter les casses. Il s’agit du décret signé ce 3 septembre 2015 par le Premier ministre, qui interdit la vente ambulante des puces téléphoniques et limite à trois le nombre de puces qu’un individu peut posséder auprès d’un même opérateur. Le maximum est donc fixé à 12 puces, sachant que quatre sociétés opèrent sur le marché camerounais.
Les opérateurs affirment que la lutte contre la multiplication frauduleuse des puces a été engagée bien avant le décret du Pm, avec la suspension de 2,5 millions de cartes Sim suspectes en 2015 et de 3,5 millions en 2015. « Le coût est non négligeable et ce sacrifice peut entraîner la chute d’une entreprise si les autres ne font pas pareil », prévient un cadre commercial de Mtn Cameroon. La réglementation en vigueur rend également l’environnement propice à l’expansion des fraudeurs.
Au Cameroun, la fraude par Simbox peut être prise en charge par deux textes majeurs adoptés le 21 décembre 2010. D’une part, la loi sur les communications électroniques prévoit un emprisonnement de six mois à cinq ans de prison et des amendes allant de 1 à 200 millions F.Cfa. D’autre part, il est prévu dans la loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité une peine de six à cinq ans de prison et des amendes allant de 1 à 25 millions F.Cfa.
Pour autant, il n’est pas aisé d’appliquer véritablement ces deux lois, car elles ne définissent pas une infraction appelée fraude par Simbox. « Dès lors, il devient difficile pour les officiers de police judiciaire d’apporter les éléments de preuve, même lorsque nous prenons les fraudeurs la main dans le sac », se plaint un commissaire de police. Pour lui, la législation camerounaise doit aller plus loin et punir même le fait de transporter une Simbox, car, pense-t-il, ce n’est pas différent d’avoir une bombe sur soi. En attendant, ces vides juridiques sont exploités par les fraudeurs qui savent qu’au Cameroun, ils ne risquent pas grand malheur.
Sensibilisation
Un cas d’école c’est bien le clandestin pris à Douala le 28 août 2015. Il transportait son dispositif de Simbox dans une voiture d’où il faisait ses opérations frauduleuses. Les enquêtes ont été menées à la police judiciaire, mais l’affaire n’a pas prospéré au niveau du procureur de la République, faute de preuve matérielle de l’infraction. Le suspect a été renvoyé pour complément d’enquête, puis mis en liberté provisoire. Il y a de quoi chagriner ceux qui croient que la fraude par Simbox sera éradiquée grâce à une législation adéquate et un engagement ferme de la justice.
Pourtant, l’avocat Akere Mune pense que la clé du succès est la sensibilisation des citoyens sur les appels internationaux qu’ils reçoivent. C’est dans ce sens qu’il entend orienter la participation de la Fondation Solomon Tandeng Muna dont il est le président. « Jusqu’ici, ni les opérateurs, ni le régulateur du secteur n’ont expliqué à la population que, sans le savoir, elle participe à mettre le pays en danger. Le Ghana a mis en place un numéro vert pour faire des dénonciations dès réception d’un appel international frauduleux », explique Me Akere Muna.
Si le Ghana est tant cité en exemple, c’est qu’il peut inspirer le Cameroun. Ce pays d’Afrique de l’Ouest a mis un point d’honneur sur le respect de l’identification des abonnés téléphoniques. Plus important encore, les opérateurs de téléphonie ont créé un front commun contre la fraude par Simbox. Ils se partagent systématiquement les informations. Voilà, semble-t-il, ce qui manque le plus au Cameroun.