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Il est trop tôt pour donner un blanc-seing à Hollande- Thierry Djoussi

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Wed, 8 Jul 2015 Source: Ludovic Amara

Le 27 juin, le journaliste camerounais a saisi le successeur de Nicolas Sarkozy d’une lettre ouverte demandant l’ouverture des archives de la France sur les crimes de l’armée coloniale française au Cameroun. Il réagit à la reconnaissance par François Hollande de ces faits historiques.

Le 03 juillet à Yaoundé, François Hollande a reconnu la répression dans la Sanaga-Maritime, et en pays Bamiléké, et a souhaité que les archives soient ouvertes pour les historiens. Votre lettre ouverte au président français n’en demandait pas moins. Pensez-vous que les réparations suivront?

Inévitablement. L’un appelant toujours l’autre. Mais nous n’en sommes pas encore là. Le président Hollande a brisé un tabou en reconnaissant publiquement le rôle de l’armée française dans la répression, qui fit entre 1956 à 1964 plus 76 000 civils tués, selon un rapport secret réalisé par l’ambassade de Grande-Bretagne au Cameroun en 1964.

Il y a désormais un avant et un après 03 juillet 2015. C’est un grand pas pour l’histoire du Cameroun d’autant plus qu’en mai 2009, François Fillon, alors Premier ministre de France, interrogé par la presse sur ce massacre avait eu ces mots remplis de dédain : « Je dénie absolument que des forces françaises aient participé, en quoi que ce soit, à des assassinats au Cameroun. Tout cela, c'est de la pure invention ! » François Hollande a fait preuve d’ouverture d’esprit. Cependant, le bon sens commande de maintenir la mobilisation jusqu’à ce que la déclassification des archives soit effective.

Jusqu’à ce que la vérité éclate. Une maxime n’enseigne-t-elle pas qu’en politique les promesses n’engagent que ceux qui y croient ? Souhaiter l’ouverture des archives aux historiens est une chose, traduire sa bonne volonté en acte en est une autre. Il est trop tôt pour donner un blanc-seing à François Hollande.

Quelle est la responsabilité des dirigeants camerounais dans la répression des nationalistes après l’indépendance?

Le drame du Cameroun est que les rênes du jeune Etat ont été mises entre les mains de ceux qui réclamaient le moins l’indépendance. Pour les militants de l’Union des populations du Cameroun (Upc) après l’indépendance a été pareil à avant l’indépendance : traque, arrestation, torture, assassinat fut leur lot quotidien.

Le président de l’Upc, Félix Moumié, est empoissonné à Genève en 1960. Des enquêteurs indépendants ont parlé d’un cadeau de la France à Ahmadou Ahidjo, qu’elle venait d’installer au pouvoir. Il faut dire qu’Ahidjo n’y est pas allé avec le dos de la cuillère contre ceux qu’il traitait de « maquisards » alors que ces combattants réclamaient pour leur pays une indépendance réelle.

Capturé, Ernest Ouandié est mort fusillé le 15 janvier 1971 à la suite d’un procès au cours duquel les droits de la défense ont été grossièrement bafoués. Il est l’un des derniers martyrs à tomber les armes à la main. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le régime a entamé l’œuvre de réhabilitation des « maquisards » en faisant adopter, le 16 janvier 1991 par l’Assemblée nationale alors monocolore, une loi conféra le statut de héros national aux leaders de l’Upc, entre autres.

Toutefois, la nation doit leur témoigner davantage de reconnaissance. Cela pourrait se traduire par un meilleur rendu de leurs combats dans les manuels d’histoires, l’organisation de commémorations officielles, l’inscription de leurs noms aux frontons des collèges, universités, sur les plaques des rues, la création d’un panthéon, etc.

Ne pensez-vous pas que les revendications mémorielles sont ringardes, surtout dans un contexte de sous-développement, de chômage?

Non. Elles sont d’actualité. Moi je fais volontiers un lien entre plusieurs de nos maux et la falsification de larges parts de notre histoire coloniale. La société camerounaise est en panne de repères. Par conséquent, elle est perméable. Surtout à des influences négatives. De la vénération des « feyman » à la dictature des musiques porno, des générations de Camerounais sont passées par bien de registre.

L’argent est la mesure de toute chose chez nous. Cela tient au fait que notre système éducatif ne façonne pas depuis la base un modèle de Camerounais. Les Japonais ont premièrement assis leur développement sur un ensemble de valeurs. Dans mes recherches, j’ai appris quelque chose d’inouïe : l’administration coloniale décrivait dans ses rapports Um Nyobe comme « incorruptible », d'une « rigueur morale exceptionnelle » bien qu’elle avait mis sa tête à prix.

Si seulement on enseignait la vie d’Um Nyobe à nos élèves, ils grandiraient dans la fascination de l’homme et voudraient tous être des petits Ruben Um Nyobe. Le développement d’un pays implique un travail profond sur la mentalité des habitants. C’est effarant de savoir que ceux qui ont pensé le programme ‘’Cameroun émergent’’ et tout le blabla y afférent aient négligé le volet mental. L’émergence ne saurait être uniquement matérielle. Transformez premièrement les esprits et le reste vous sera donner par surcroît.

Auteur: Ludovic Amara