Plus le temps passe, plus les serpents attaquent les Camerounais avec mort d’Hommes. L’indisponibilité des sérums antivenimeux et d’autres problèmes de prise en charge post-morsures cités parmi les causes de ces décès qui vont grandissants. Des actions plus fortes du gouvernement attendues pour juguler ce phénomène qui attriste de nombreuses familles.
Etat des lieux
Les problèmes de diagnostic et de prise en charge précoce à l’origine des milliers de décès et d’amputations.
40 000 personnes sont mordues par des serpents chaque année au Cameroun. Certaines de ces morsures sont blanches (non dangereuses), alors que d’autres sont accompagnées d’envenimations, dépendamment du type de serpent. Cette deuxième catégorie de morsures est à l’origine de 4000 décès par an. Les victimes étant âgées entre trois et 90 ans.
Ces estimations sont contenues dans l’enquête épidémiologique approfondie intitulée Projet SNAKE-BYTE. Une étude menée par la Société camerounaise d’épidémiologie, avec l’aide de ses partenaires nationaux et internationaux. Au regard de ces nouvelles statistiques, les cas de morsures de serpents et de décès qui en résultent vont crescendo au Cameroun. La Société camerounaise d’épidémiologie rapporte en effet qu’on est passé de 2503 morsures de serpents dont 48 décès en 2015 à 8852 morsures de serpents dont 140 décès en 2020.
Des chiffres inquiétants, mais pas surprenants pour le ministère de la Santé publique. « L’incidence des morsures de serpents d’après cette étude semble très élevée, mais cela ne nous surprend pas beaucoup quand on sait les difficultés qu’on a à recueillir les données communautaires », avoue le Dr Georges Nko’Ayissi, point focal maladies tropicales négligées au ministère de la Santé publique.
Ce qui explique cette incidence de plus en plus élevée, c’est l’impressionnante richesse faunique du Cameroun en termes de serpents. Le pays compte environ 150 espèces de serpent, ce qui représente environ 75% d’espèces recensées en Afrique. Parmi elles, on dénombre environ 32 qui sont venimeuses, selon l’étude intitulée « Envenimations : répartition biogéographique des serpents venimeux au Cameroun. « Il résulte de notre analyse qu’avec 32 espèces venimeuses recensées, la faune de serpents venimeux du Cameroun est remarquablement riche. Cette richesse s’explique par la variété des biotopes du pays », conclut l’étude.
Parallèlement, le nombre de décès relativement important est attribué à un problème de diagnostic, mais aussi de prise en charge tardive. De nombreuses victimes de
morsures, terrorisées par la douleur infligée par le serpent, ne prennent pas la peine d’identifier l’animal. Et « Cela pose un grand défi en termes de diagnostic. Il faut que nos personnels du niveau central et périphérique soient de plus en plus outillés à reconnaître les morsures de serpent. Pour le moment, le ministère de la Santé publique est dans un vaste déploiement de formation dans les zones à fort risque de morsures de serpents comme le Septentrion. Nous y travaillons avec nos partenaires », rassure le Dr Nko’Ayissi.
Même si l’espoir est permis en ce qui concerne le diagnostic, il faut encore travailler au traitement. Parce que « dans la plupart des cas, les patients ont tendance à se rendre beaucoup plus dans les centres de médecine traditionnelle que dans les formations sanitaires proches d’elles », regrette le Dr Nko’Ayissi. Non sans souhaiter que les populations se rendent dans une formation sanitaire après morsure pour espérer une meilleure prise en charge.
En effet, assez souvent, malgré leur bonne volonté à sauver des vies, les tradipraticiens vers qui les personnes mordues s’orientent en propriété ne disposent pas toujours du nécessaire pour une prise en charge adéquate. Ils se contentent de certaines pratiques aujourd’hui « dépassées » à l’instar de la scarification et l’usage de la pierre noire (déconseillés par les scientifiques). Des méthodes couplées au garrot préalablement attaché par les patients ou leurs accompagnateurs et qui ne rassurent pas. Parfois le patient ne regagne l’hôpital que quand il est tard. Ces problèmes de diagnostic et de prise en charge précoce augmentent pourtant le nombre d’amputations suite aux morsures de serpent.
Classées maladie tropicale négligée en 2017, les morsures de serpents restent un problème de santé publique. « Elles peuvent entraîner des troubles sanguins, des hémorragies fatales, des troubles neurologiques, une insuffisance rénale irréversible, les lésions tissulaires. Chez les enfants, c'est beaucoup plus grave parce qu’ils ont une faible masse corporelle et le venin se diffuse très vite », indique le Pr Thérèse Nkoa, parasitologue.
Sérums antivenimeux toujours aussi rares
La cherté du stock disponible rappelle encore l’urgence d’une production locale afin de limiter le nombre de décès.
Le Dr Ben Fayçal demeure à ce jour la principale victime de l’indisponibilité des sérums antivenimeux au Cameroun. Ce jeune médecin et directeur de l’Hôpital de District de Poli dans la région du Nord est décédé en 2014, faute de sérum correspondant. En effet, après avoir été mordu par un serpent cobra, le médecin de 30 ans a pris le courage pour identifier le type de serpent, avant d’entamer le tour des pharmacies à la recherche du sérum anti-venin correspondant à la morsure dont il a été victime. Malheureusement, il n’en trouvera pas. Avec l’aide de l’ambulancier et d’un infirmier, il prend la route de l’Hôpital régional de Garoua, situé à près de 5h de route. Il poussera malheureusement son dernier soupir à l’entrée de la ville de Garoua. Selon des sources, même l’Hôpital régional vers lequel le patient se faisait conduire ne disposait pas de sérum adapté à ce type de morsure.
Neuf ans après ce tragique incident, les sérums antivenimeux, principaux antidotes contre les morsures de serpents se font toujours rares. Et peut-être encore plus. En pharmacie d’officine ou à l’hôpital, difficile d’en trouver. En fait, la firme pharmaceutique internationale spécialisée jusque-là dans la production des sérums contre ces morsures a arrêté d’en produire depuis 2014. De même, le stock disponible est arrivé à expiration en 2016. Depuis lors, des produits de qualité et d’efficacité douteuses ont inondé le marché.
Le peu de sérums efficaces encore disponibles coûte cher et ne sont par conséquent pas accessibles à tous. « Pour une morsure de serpent, le sérum anti-venin est nécessaire pour sauver la vie du patient et on a besoin de trois à quatre doses. Une dose, lorsqu’on en trouve coûte entre 50 000 et 80 000 Fcfa. C’est difficile à supporter par le patient », explique le Pr Yap Boum II, épidémiologiste.
En cas de morsure de serpent ce qu’il faut faire :
-rester calme et rassurer le patient
-enlever tout habit ou bijou serré
-transporter prudemment le patient à l’hôpital
-si possible envoyer le patient avec le serpent tué
Ce qu’il ne faut pas faire :
-éviter d’attacher le garrot
-éviter de scarifier le site de la morsure
-éviter d’utiliser la pierre noire
Face à cette situation, l’idée d’une production locale d’antivenimeux a émergé depuis quelques années. Encore que la fabrication de ces produits n’est pas du tout difficile, à en croire les experts. « La production est très simple. Quand vous avez un serpent donneur de venin, vous récupérez ce venin et vous l’administrez à un cheval. Au bout d’un temps, ce cheval va développer les anticorps. Vous récupérez ensuite son sang pour en extraire le plasma qui est ensuite purifié. Ce plasma est reversé dans les flacons en verre pour être lyophilisé. Le sérum est prêt on pourra donc y ajouter de l’eau distillée pour l’administrer au patient », explique le Dr Abel Wade, directeur du Laboratoire national vétérinaire (Lanavet). Mais pour y parvenir, « Il faut une subvention de l’Etat, parce que si le Lanavet produit et qu’il faut vendre le flacon à 200 000 Fcfa, il n’y aura pas de preneurs, ce qui est contre-productif. L’Etat doit au moins prendre en charge la matière première parce que pour sauver nos patients, il faudrait que le produit soit vendu à un coût très bas, si possible à 1000 Fcfa la dose », renchérit le Dr Abel Wade. Il rassure par ailleurs que si les moyens sont disponibles, la structure dont il a la charge peut produire des flacons de sérums antivenimeux en trois mois.