La couverture santé universelle a été lancée au Cameroun depuis le 12 avril 2023, mais les problèmes qui minent encore de manière profonde le système de santé en général sont de nature à faire de ce projet un simple échec, si un check up complet n’est pas fait suivi d’un protocole adéquat de prise en charge.
Depuis le 22 mai 2023, les infirmiers et les aides-soignants ont entamé une manifestation pacifique à travers des sit-in organisés à l’entrée du Centre des Urgences et de réanimation de la capitale Yaoundé. Leur objectif étant d’exprimer le désarroi face à ce qu’ils qualifient de violations de leurs droits et des conditions de travail dans lesquelles ils exercent leur métier. Dans l’ensemble, il faut rappeler que sur les 27.000 personnels infirmiers et aides-soignants de la santé publique, 60% travaillent sans contrat ni affiliation à la sécurité sociale, selon l’Organisation non gouvernementale Nouveaux Droits de l’Homme. Au Centre des urgences et de réanimation de Yaoundé par exemple, sur près de 260 employés, dont 80% de femmes et âgés entre 28 et 50 ans, environ 80% des manifestants réclament la contractualisation par leur employeur. Toujours selon Ndh, au Centre hospitalier universitaire, certains personnels réclament 50 mois d’arriérés de primes, la non prise en compte des avancements d’échelons des années 2019-2022, l’opacité des recettes propres à cet établissement sanitaire et bien d’autres revendications. Au-delà de la délicatesse du métier de ces derniers, qui peuvent même inconsciemment répercuter leur mauvais état moral sur les malades qu’ils reçoivent, il est à noter que les infirmiers et aides soignant dénoncent ainsi la violation flagrante par l’Etat de ses propres lois. L’emploi au noir, phénomène plus souvent décrié dans le secteur privé, se pratique désormais à large échelle par l’Etat. En effet, les personnels travaillant pour le compte de l’Etat sont régis soit : par le statut général de la fonction publique, le statut de la magistrature, le statut général des militaires, le statut spécial de la sûreté nationale, le statut spécial de l’administration pénitentiaire, ou les dispositions particulières applicables aux auxiliaires d’administration. En dehors, les autres personnels travaillant pour l’Etat sont régis par le code du travail, qui prescrit une inscription automatique des employés à la caisse nationale de prévoyance sociale dans un délai de 8 jours à partir de la date d’embauche. Ce code du travail rappelle qu’ « est considéré comme « travailleur » au sens de la présente loi, quels que soient son sexe et sa nationalité, toute personne qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une personne physique ou morale, publique ou privée, celle-ci étant considérée comme « employeur ». Pour la détermination de la qualité de travailleur, il ne doit être tenu compte ni du statut juridique de l’employeur, ni de celui de l’employé. » Apprendre que des personnels travaillent depuis 15 ans dans une institution publique, sans être immatriculé à la Caisse nationale de prévoyance sociale, en respect des textes en vigueur, est simplement une autre preuve des pratiques délinquantes de l’Etat.
Le mouvement déclenché depuis le 22 mai 2023 venait ainsi rappeler le caractère purement politique de ce lancement, étant donné que le ministre de la santé lui-même reconnaissait devant les députés en juin 2021 que la loi cadre qui devrait encadrer la Couverture santé universelle était encore dans les tiroirs.
La santé en péril
Cette grève du personnel de santé qui met à nue un des aspects du malaise qui règne, intervenait 41 jours seulement après le lancement par le ministre de la Santé publique Manaouda Malachie, de la phase une de la Couverture santé universelle, le 12 avril 2023 à Mandjou dans la région de l’Est. Une des questions qui ses sont posées à l’annonce de l’évènement, c’était de savoir comment l’Etat entend offrir une couverture santé universelle, quand le personnel de la santé lui-même cumule autant de griefs. Le mouvement déclenché depuis le 22 mai 2023 venait ainsi rappeler le caractère purement politique de ce lancement, étant donné que le ministre de la santé lui-même reconnaissait devant les députés en juin 2021 que la loi cadre qui devrait encadrer la Couverture santé universelle était encore dans les tiroirs. Et dans une interview accordée au journal Ecomatin édition en ligne du 12 avril 2023, Docteur Albert Ze, économiste de santé entre autres, expliquait que le Cameroun, au vu des problèmes qu’il traine, n’était pas prêt à accueillir la Couverture Santé universelle. Il affirme : « Pour atteindre une CSU il y a 04 préalables définis par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Le premier c’est qu’il nous faut un système de santé qui soit solide, efficace et bien géré. Ensuite, des médicaments et équipements en abondance, disponibles également, permettent une maîtrise des coûts des soins de santé. Enfin, il nous faut un personnel de santé en nombre suffisant, bien formé et motivé. Aujourd’hui, dans notre contexte, les quatre préalables ne sont pas atteints. De façon générale, il nous faut commencer par la restructuration de notre système de santé. Ceci passe par la révision de l’offre de santé, voir comment on va diriger nos zones de santé. La deuxième chose c’est qu’il faut assainir la gestion du financement alloué à la santé. Parce que jusqu’à présent, nous avons 90% de financement alloués à la santé qui ne servent pas à la santé. On a donc une grosse fuite des financements alloués à la santé. Et il faut absolument résoudre ce problème si nous voulons mettre en place un système de santé efficace. L’autre chose c’est qu’on ne peut pas penser à une CSU pendant que vous êtes encore dans un système de santé où des individus sont insolvables ; donc sont des prisonniers dans les hôpitaux. Il faut résoudre le problème de l’insolvabilité des patients dans les hôpitaux. Lorsqu’on va dans le processus d’assainissement de la gestion des finances publiques, il faut également mettre un accent sur la gestion et la meilleure distribution possibles des recettes hospitalières en coupant le lien qui existe entre les prestations des soins et les revenus des personnels. Si on ne le fait pas, même l’assurance maladie ne peut pas fonctionner. Et vous savez qu’il y a de cela quelques années, les assureurs de santé avaient décidé de ne plus le faire au Cameroun parce qu’il y a un problème de fond c’est que tant qu’on aura cette liaison, il y aura des surfacturations qui vont asphyxier le système d’assurance et qui finira par tomber en faillite. » C’est dire qu’au-delà de la grève des infirmiers et aides-soignants, qui cache mal la grogne des médecins, spécialistes et autre personnel de la santé, le système de santé au Cameroun a besoin d’un véritable bilan… de santé.
Roland TSAPI