Blocus au Parlement: Me Akéré Muna remonté contre les députés

Akere Muna Ambazonie Cameroun Les deputés du SDF bloquent les travaux au Parlement

Mon, 4 Dec 2017 Source: Emergence No 1126

Le texte ci-dessous est une tribune de Me Akéré Muna publiée dans le No 1126 du quotidien Emergence :

Lorsque, il y a plusieurs mois, j’avais commis un article sur le sort des avocats de la common law, j’avais écrit ce qui suit, en regardant les photos et les vidéos montrant la brutalité avec laquelle ils avaient été traités, pour avoir exercé un droit constitutionnel : «Les avocats sont les défenseurs des plus faibles, et les gardiens de l’État de droit. Les citoyens qui sont témoins d’un tel spectacle, ne peuvent que se sentir fragilisés et l’existence de la primauté du droit dans n’importe quel autre pays sera aussitôt remise en question ».

Le spectacle offert par les honorables parlementaires qui se battent pour voir débattre de la crise anglophone, mais n’y parviennent pas, a ravalé la démocratie dans notre pays au plus bas niveau. En effet, notre Parlement n’est plus désormais qu’une simple fiction que certains soupçonnaient déjà. Et du coup, le Bureau de l'Assemblée nationale de la République a ignoré le langage en faveur du dialogue prêché par le président de la République.

Ce spectacle nous a de nouveau été servi le 29 novembre 2017, et le monde entier a regardé les vidéos d'un Premier ministre qui s’efforçait de parler, noyé dans le brouhaha des députés du Social Democratic Front (SDF) qui exigeaient le droit de prendre la parole.

Comment est-il possible d’initier véritablement un processus de dialogue dans un contexte où les représentants d’un peuple souverain sont muselés au Parlement? Beaucoup de personnalités à travers le monde ont estimé que c’est le dialogue qui devrait sous-tendre la recherche de solutions. Parmi ces nombreuses voix, l’on a entendu ceci, entre autre appels :

- 28 novembre 2016: Le Département d'État américain appelle les deux parties à faire montre de retenue et à engager le dialogue;

- 18 janvier 2017: Le président de la Commission de l'Union africaine appelle à la retenue et à la poursuite du dialogue;

- Avril 2017: M. François Louncény Fall, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l'Afrique centrale et chef du Bureau régional des Nations Unies pour l'Afrique centrale (UNOCA), appelle le gouvernement à continuer de promouvoir l'apaisement et le dialogue;

- 27 septembre 2017: Le Secrétaire général de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, après la libération de certains prisonniers, a déclaré qu'il espère que cette mesure contribuera à renforcera le dialogue politique;

- 30 septembre 2017: Le Haut représentant de l'Union européenne appelle à un dialogue ouvert et inclusif;

- 7 octobre 2017: Transparency International appelle à un dialogue politique véritable et inclusif;

- Octobre 2017: Michaëlle Jean, Secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie, appelle à la paix et au dialogue.

Par la suite, le gouvernement a d’abord engagé un processus où le premier groupe d’interlocuteurs s’est soit retrouvé en prison ou obligé à fuir le pays. Il a ensuite décidé d’envoyer des personnes sans mandat populaire et qui ne jouissait plus d’aucune confiance de la part des populations pour discuter avec elles. Il y en a même qui ont été envoyées rencontrer la diaspora pour les mêmes raisons, et le résultat a été tout simplement désastreux.

Initier un dialogue authentique serait la seule preuve qui témoignerait de la volonté de comprendre les autres. Une autre voie aussi judicieuse serait l’organisation d’un débat parlementaire et si possible avec des audiences. Il va s’en dire que l’exécutif a échoué, le pouvoir judiciaire pour sa part a une fois de plus montré qu’il n’est qu’un prolongement de l’exécutif, et le parlement se présente désormais comme une chambre annexe de l’exécutif. Ces trois institutions s’obstinent à s’enfermer dans un déni total.

Où d’autre peut s’initier le dialogue si ce n’est au parlement? Ces députés sont tous détenteurs d’un mandat d’élus et sont originaires de régions en crise. N’est-ce donc pas de bon ton qu’ils informent leurs collègues de ce qui se passe réellement? Les autres parlementaires n’ont-ils pas besoin de savoir ce qui se passe? Ne se rendent-ils pas compte qu’en se taisant, ils attisent plutôt le feu sous cette unité nationale qui bouillonne et étouffe dans une cocotte-minute fermée hermétiquement?

Tout ceci est symptomatique d’une défaillance systémique. Un gouvernement qui n’écoute pas et un Parlement qui choisit de ne pas écouter et un système judiciaire qui hésite à poser des actes courageux même quand l’un de ses membres est menacé. Même dans le processus budgétaire, le gouvernement fait montre de son refus d’écouter les contribuables. En effet, un budget qui ne prend en compte que la collecte des impôts et qui asphyxie les entreprises contribue à ralentir les investissements et raréfie l’emploi. Comment comprendre l’élaboration d’un budget qui ne prenne pas en compte les opinions de ceux dont le rôle est de dynamiser notre économie?

Sommes-nous en train d’inciter les potentiels touristes en augmentant la taxe d’aéroport de plus de 200%? Est-il possible d’imaginer l’effet de 50.000F CFA de plus sur la jeune camerounaise qui se rend à Lagos ou à Cotonou pour chercher des opportunités d’affaires?

Ceux qui mettent en place toutes ces lois n’achètent pas de leurs poches leurs billets d’avion et n’ont par conséquent aucune idée des effets induits sur d’autres secteurs. Une autre idée folle était de faire payer l’impôt foncier via la facture d’électricité du locataire! L’impôt foncier concerne le propriétaire et la facture d’électricité le locataire. Un fonctionnaire de la Présidence a dû se rendre compte de cette absurdité pour que l’exécutif en vienne à instruire le retrait de cette proposition du projet de loi de finances. Il n’est plus un secret que dans notre propre système de gouvernance, le dialogue veut dire que c’est le gouvernement qui se parle à lui-même. Nous sommes donc dans un régime de gouvernement du gouvernement, par le gouvernement, et pour le gouvernement.

Alors, de qui se moque-t-on, quand d’aucuns claironnent une volonté de dialoguer dans un système qui n’envisage pas de véritable consultation ou dialogue? Au moment où toute la communauté internationale nous invite à user de la force du dialogue en session parlementaire, nous avons plutôt opté pour la farce. J’espère que le président Macron a été entendu, lorsqu’il a dit que ceux qui veulent préserver leur statut et les partisans du déni «n’ont rien compris »!

Source: Emergence No 1126