Maurice Kamto s’efforce de maintenir une gestuelle posée, mais son verbe est truculent. Face à la diaspora camerounaise à Paris, qu’il venu rencontrer le 27 juin, l’homme expose la situation sociopolitique et économique « peu enviable » de son pays et des solutions pour y remédier. Il dénonce avec des mots durs les entraves aux droits humains, le blocage du jeu démocratique, l’apathie du tissu industriel et un chômage massif des jeunes – plus de 13 %, selon des chiffres officiels sans doute sous-évalués.
Ce juriste de formation, professeur d’université, s’est fait connaître en menant les négociations pour le compte du Cameroun dans le conflit frontalier qui l’a opposé au Nigeria pendant une quinzaine d’années au sujet de la presqu’île de Bakassi, riche en gaz, pétrole et ressources halieutiques – finalement rétrocédée au Cameroun en 2006. Cette victoire lui permet d’être nommé ministre de la justice, un poste qu’il occupe jusqu’à sa démission fracassante en 2011.
Depuis, Maurice Kamto préside le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), une formation avec laquelle il dit vouloir incarner une nouvelle offre politique, « une renaissance », afin de tourner la page du régime de Paul Biya, 82 ans, au pouvoir depuis 1982. En réalité, cette figure de l’opposition camerounaise ne cache pas son impatience à concourir à la présidentielle prévue dans trois ans seulement, en octobre 2018. « Un scrutin de tous les espoirs », explique Maurice Kamto qui y voit une occasion d’en finir avec le biyaïsme, mais « un scrutin de tous les dangers aussi », s’inquiète-t-il.
Le Cameroun accueille François Hollande. A votre avis, y a-t-il des thèmes sur lesquels il pourrait interpeller son homologue camerounais Paul Biya ?
Au-delà de la question cruciale des droits de l’homme, le sujet majeur sur lequel le président Paul Biya devrait être interpellé est la préparation de l’évolution politique du Cameroun à l’horizon 2018. C’est une année de tous les espoirs, mais également de tous les dangers. Toutes les élections, présidentielle, législatives, sénatoriales et municipales, se déroulent cette année-là. Et, pour l’heure, les conditions ne sont pas réunies pour garantir leur transparence et leur crédibilité. Ceci, en raison d’un code électoral qui a montré ses insuffisances, notamment lors des municipales de 2013, et que le pouvoir se refuse toujours à faire réviser malgré les appels de l’opposition et de la société civile
Est-ce à la France d’intervenir sur cette question ?
A défaut de pouvoir faire pression, nos partenaires français peuvent au moins tenir le langage de l’amitié aux autorités camerounaises. Il s’agirait de leur faire comprendre que le Cameroun ne peut pas aller aux élections dans des conditions qui vont provoquer une crise postélectorale grave et une déstabilisation du pays qu’il serait difficile de maîtriser. Ce n’est pas une menace, c’est un risque réel. Pour prévenir ce risque, il faut ouvrir un dialogue entre l’opposition et le pouvoir. Nous y sommes disposés, mais le président Biya manifestement un peu moins. Or discuter avec l’opposition n’est pas un signe de faiblesse. C’est un signe de construction d’un avenir apaisé et prometteur. Cette situation de blocage politique et cette absence de visibilité ont une énorme incidence sur l’économie. Aujourd’hui, celle-ci n’est pas aussi prospère qu’elle devrait l’être parce que les investisseurs ne sont pas rassurés.
Une alternance est-elle possible au Cameroun ?
Elle est bien évidemment possible. Mais la seule manière de la garantir et de se prémunir d’éventuelles violences postélectorales, c’est de réviser le code électoral. Cette question est incontournable. Mais en attendant, au sein du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, nous continuons d’aller vers les Camerounais, afin de les encourager à se réapproprier le débat politique et l’avenir de leur pays. Ils n’ont aucune raison de désespérer. L’opposition a cessé d’être audible sur une réelle possibilité de l’alternance parce qu’elle a perdu le contact avec le peuple. Nous voulons rallumer la flamme des années 1990.
Cela passe-t-il par la désignation d’un candidat unique de l’opposition à la présidentielle de 2018 ?
Il ne faut écarter aucune option. Si l’on peut parvenir à la désignation d’un candidat de consensus, c’est toujours mieux. En même temps, il faut éviter les impasses. La question d’une candidature unique de l’opposition à la présidentielle n’est pas une problématique nouvelle sur la scène politique camerounaise. Cela avait déjà été évoqué lors du scrutin de 1992, mais nous n’y sommes jamais parvenus. Il y a deux raisons à cela : les ego des uns et des autres et les manœuvres de division du pouvoir. Lors de la présidentielle 2004, les choses étaient bien parties pour que l’opposition s’accorde sur un candidat. Mais à la dernière minute, le pouvoir a réussi à provoquer une dispersion des troupes. Très clairement, certains responsables politiques ont été achetés.
L’autre raison pour laquelle nous n’y arrivons pas est que de nombreuses formations politiques ont été constituées comme des comptoirs de négociation ou comme de simples relais du parti majoritaire. Mais il y en a heureusement qui ne sont pas des alliés du pouvoir et qui ne le seront jamais. C’est à ce niveau qu’il faut chercher des possibilités d’une coalition.
Quel regard portez-vous sur la manière dont le Cameroun mène la lutte contre Boko Haram ?
L’engagement et les performances des forces armées camerounaises sont à saluer. Elles se battent dans des conditions extrêmement difficiles et ont pu repousser plusieurs attaques. Grâce à leur combativité, Boko Haram n’a jamais pu occuper, même pour un seul jour, un seul centimètre carré du territoire camerounais. En revanche, la conduite politique de la guerre est moins reluisante, moins efficiente. Le Cameroun doit renforcer le dialogue avec ses voisins. On ne peut pas gagner tout seul une guerre contre une nébuleuse comme celle-là.
Justement, le Cameroun n’est-il pas entré un peu tard dans cette guerre ?
Je ne dirais pas cela. Au début, il y a eu des enlèvements, ce n’était pas des attaques en tant que telles sur le territoire camerounais. Même si on peut reprocher aux dirigeants leur gestion de ces enlèvements. C’est lors des premières incursions massives dans l’extrême nord, comme celle de Kolofata, en janvier, que le Cameroun entre militairement en guerre. Mais le problème n’est pas la combativité de notre armée. Il s’agit de lui donner les moyens de combattre. Il s’agit surtout pour le pouvoir de mener des actions diplomatiques nécessaires. Cette diplomatie manque considérablement, de même qu’une attention plus marquée de Paul Biya à ses troupes au front.
Cameroun : l'opposant Maurice Kamto met en... by lemondefr