Le Cameroun va connaître en 2018 une année électorale chargée dans un contexte sécuritaire et politique tendu, avec une profonde crise socio-politique dans ses régions anglophones et la persistance d’attaques suicide dans l’Extreme-Nord par le groupe jihadiste Boko Haram.
2018 est une « importante année électorale », a prévenu dans son discours de voeux Paul Biya, 84 ans dont 35 au pouvoir, qui doit encore déterminer la date des quatre élections à venir: présidentielle, sénatoriales, législatives et municipales.
Celles-ci devraient renouveler le spectre politique, espère l’opposition, même s’il n’y a guère de suspense quant à une candidature du président à sa septième réélection: si M. Biya n’a pas encore dévoilé ses intentions, son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), considère sa candidature comme acquise.
Ses militants le présentent comme leur « candidat naturel » et beaucoup lui promettent d’ailleurs un « vote à 100% », comme c’est déjà arrivé par le passé dans ce pays d’Afrique centrale d’une vingtaine de millions d’habitants.
« Le président Biya est le meilleur candidat pour 2018. Il continuera à mener notre pays sur les chantiers de la paix et de la croissance », déclare à l’AFP un sénateur de son parti, Claude Kemajou.
Les « comités » pro-Biya et les initiatives de soutien plus ou moins spontanées font déjà florès. Comme en 2011 – où 25.000 fonctionnaires avaient été recrutés en amont du scrutin présidentiel – le « champion » du RDPC multiplie les actes de « séduction de l’électorat », selon les observateurs politiques locaux.
Lutte armée
Le 8 janvier, M. Biya a ainsi créé une faculté de médecine à Garoua, dans le nord du pays, ainsi qu’une Ecole normale supérieure à Bertoua (Est).
En 2016, son gouvernement avait annoncé tambour battant qu’il allait offrir 500.000 ordinateurs aux étudiants. La distribution de ces appareils n’a débuté que fin 2017 et se poursuivra jusqu’en juin 2018, cinq mois avant la présidentielle prévue entre octobre et novembre.
Face au président octogénaire, une situation politico-sécuritaire tendue s’est installée ces derniers mois au Cameroun, avec d’une part la persistance des assauts des jihadistes de Boko Haram dans le nord frontalier du Nigeria, et de l’autre la grave dégradation de la crise dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Là-bas, face à un dialogue politique quasi-inexistant, et la répression des autorités, les protestations séparatistes ont tourné à une quasi guérilla de basse intensité. Yaoundé a déclaré la « guerre » aux sécessionnistes, qui de leur côté sont passés de « l’auto-défense » à un appel clair à la lutte armée.
Selon un décompte de l’AFP, établi sur la base des déclarations officielles, 19 militaires et policiers ont été tués depuis novembre, tandis que les réseaux sociaux pro-anglophones diffusent des photos de civils tués et de villages mis à sac par l’armée.
« Le Cameroun s’achemine vers des élections dans un contexte politique et sécuritaire volatile », estime Hans De Marie Heungoup, chercheur au centre d’analyse International Crisis Group (ICG), soulignant que « la tension politique palpable, l’instabilité dans les régions anglophones, la persistance des attaques de Boko Haram à l’Extreme Nord et le non-consensus autour du jeu électoral sont autant de facteurs crisogènes susceptibles de pertuber ces élections ».
Opposition fragmentée
Pour contrer la réélection d’un président souvent critiqué par ses détracteurs pour ses longs séjours hors du pays – en Suisse surtout -, la scène politique camerounaise d’ordinaire morose s’anime.
Le principal parti d’opposition, le parti anglophone du Social Democratif Front (SDF), a d’ores et déjà annoncé qu’il participera aux élections, mais on ne sait pas encore si son leader, Ni John Fru Ndi, défiera M. Biya comme par trois fois dans le passé.
L’opposant éternel au président camerounais vient de se décider à se porter de nouveau candidat à la tête de son parti, malgré ses 76 ans, ses échecs électoraux à répétition et la pléiade de candidats pour reprendre le flambeau de l’opposition. Une élection interne au parti doit avoir lieu, sans date fixée pour l’heure.
En décembre, un évêque catholique, Mgr Samuel Kleda, président de la Conférence épiscopale, s’est prononcée en faveur d’une « transition pacifique ». « Si le président Paul Biya aime ce pays, il devrait plutôt se retirer », a-t-il lâché lors d’une interview dans la presse locale qui n’est pas passé inaperçue.
D’autres candidats sont déjà déclarés, comme le célèbre avocat anglophone Akere Muna – connu pour son engagement dans la lutte contre la corruption et soutenu par une plateforme de neuf petits partis d’opposition et associations de la société civile -, l’opposant Garga Haman Adji, troisième à la présidentielle de 2011, ou encore Bernard Njonga, connu pour ses actions en faveur des paysans.
Un autre regroupement d’opposants, parmi lesquels le jeune et populaire Cabral Libi, entend aussi organiser des primaires pour choisir son candidat. Et le parti d’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) doit choisir en mars son champion.
En prévision des scrutins, la commission électorale camerounaise a lancé en janvier des opérations de révision des listes électorales, qui comptaient officiellement fin 2017 plus de 6 millions d’inscrits.