Christophe Boisbouvier pense que François Hollande a dû reconsidérer ses positions concernant ses relations avec les Chefs d’Etat Africains depuis qu’il est Président. Le spécialiste de l’invité Afrique sur Radio France International (Rfi) le fait savoir dans son ouvrage, «Hollande, l’Africain».
Le journaliste français s’est entretenu avec le quotidien Le Jour. Interview que publie le journal dans son édition du 5 novembre 2015.
François Hollande annonçait pendant la campagne présidentielle de 2012 en France sa détermination à «rompre avec la Françafrique». A votre avis, a-t-il tenu promesse ?
Boisbouvier: «Un aspect de la Françafrique sur lequel on peut reconnaître à François Hollande un certain changement c’est ce qu’on appelle le clientélisme, le favoritisme, la Françafrique de l’argent. Il y avait sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy un certain nombre d’intermédiaires qui évoluaient entre l’Afrique et la France avec l’intention de faire fructifier leurs avoirs personnels en rapprochant tel ou tel président africain d’un président français.
Il y avait des mallettes pleines d’argent qui circulaient. On se souvient des révélations de Robert Bourgi sur les fameuses mallettes du temps de Jacques Chirac. Jusqu’à nouvel ordre, selon l’enquête que j’ai menée depuis l’arrivée de François Hollande à l’Elysée en 2012, je n’ai pas trouvé traces de cette Françafrique- là. Les intermédiaires douteux, je n’en ai pas retrouvés pour l’instant dans l’entourage de François Hollande.
Mais attention ! les faits peuvent me démentir dans trois mois, six mois ou plus. Il faut donc rester vigilent. En revanche, il y a une Françafrique avec laquelle François Hollande n’a pas coupée, c’est la Françafrique institutionnelle. Elle est fondée sur des rapports historiques depuis 55 ans entre la France et l’Afrique. Il s’agit notamment des piliers que sont les bases militaires françaises en Afrique et le franc Cfa».
François Hollande déclarait aussi qu’on ne verra plus les dictateurs défiler «en grand appareil à Paris». Trois ans après, tous ceux qui étaient visés par ce discours ont été reçus à l’Elysée quand ce n’est pas Hollande qui va vers eux dans leurs pays respectifs…
Boisbouvier: «Ce discours a effectivement été tenu lors de la fameuse prise de parole du candidat Hollande au Bourget en janvier 2012, quatre mois avant sa victoire. Il y a eu en effet chez François Hollande, pendant les premiers mois de sa présidence, la volonté de prendre ses distances avec les chefs d’Etats africains dont les régimes étaient autoritaires à ses yeux. Il y a eu notamment le fameux épisode du sommet de la Francophonie à Kinshasa en octobre 2012. François Hollande n’avait pas du tout envie d’y aller parce qu’à ses yeux Joseph Kabila n’était pas fréquentable. Ce n’est finalement qu’après de forte pressions de son entourage et notamment d’Abdou Diouf, qui était le secrétaire général de la Francophonie, qu’il s’était résolu à y aller parce qu’il en allait peut-être de l’avenir de la Francophonie. Vous vous souvenez qu’à ce moment là, il a marqué sa distance à l’égard de Joseph Kabila, puisqu’il l’a ostensiblement boudé, il a reçu longuement les veuves des deux militants des droits de l’homme Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. On a un François Hollande au début de son quinquennat qui montre en effet sa volonté de prendre ses distances avec des autocrates africains».
Et vous dites dans votre livre que le président français a été rattrapé par la realpolitik...
Boisbouvier: «Oui. Le François Hollande de 2013 n’est plus le même que le François Hollande de 2012. Il est face à un risque djihadiste au Sahel, il est face aux responsabilités historiques que la France veut assumer sur le continent africain depuis 50 ans, il se sent l’héritier des premiers présidents de la Vème République qui ont voulu faire de la France une puissance africaine et il pense que la France doit le rester. Il se sent l’héritier de Charles De Gaulle et de François Mitterrand et il accepte à partir de janvier 2013 de revêtir le costume de gendarme de l’Afrique».
Comment jugez-vous la nature des relations entre le président Paul Biya et son homologue François Hollande ?
Boibouvier: «On est toujours dans cette ambivalence hollandiste. Un coup à gauche, un coup à droite, cette stratégie du zigzague qu’affectionne l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste depuis l’époque où il réussissait des synthèses impossibles entre les différents courants du Ps. Vous avez en effet un premier François Hollande très méfiant à l’égard de Paul Biya, nous sommes en 2012 ; vous avez un deuxième François Hollande qui commence à tomber la garde en 2013, notamment lors de l’issue heureuse de deux prises d’otage de ressortissants français au nord du Cameroun en avril et en décembre 2013. Laurent Fabius se rend plusieurs fois à Yaoundé et un lien personnel se crée entre Paul Biya et Fabius. François Hollande devient plus ouvert à l’égard du président camerounais. Vous avez la libération du franco-camerounais Thierry Michel Atangana et de son compagnon Titus Edzoa après une année de travail méthodique de la part de l’Elysée auprès des autorités camerounaises en faveur de cette issue heureuse. Mais malgré tout, François Hollande ne veut pas venir au Cameroun et Laurent Fabius le pousse pour qu’il y aille. Dans son cabinet, je ne suis pas sûr que ses conseillers, Thomas Mélonio et Hélène Le Gal étaient aussi favorables à cette visite. Finalement il y va, mais avec l’envie quand même de marquer sa différence avec son prédécesseur Nicolas Sarkozy.».