Le Cameroun, dit-on couramment, est « une Afrique en miniature », un pays bilingue avec une multitude d'ethnies qu'il est bien évidemment difficiles de toutes satisfaire, mais qu'il serait importer d'écouter. Faute de primaires, l'opposition part à la bataille en ordre dispersé et, comme le scrutin se joue en un seul tour, le président sortant – rentré récemment « au pays » - joue sur du velours. Dans cette course au Palais d'Etoudi, comment la victoire pourrait-elle lui échapper ? Puisqu'il est déjà en place et installé dans les lieux depuis 1982, soit plus de 36 ans, ce qui constitue – après Teodoro Obiang le leader de la Guinée équatoriale au pouvoir depuis 1972 - le record de longévité politique en Afrique depuis la chute du président Robert Mugabe au Zimbabwé.
Malgré un code électoral taillé sur mesure, avec un organisme chargé des élections (Elecam) dirigé par des personnes issues du parti au pouvoir, la victoire pourrait néanmoins échapper à Paul Biya si l’on observait une réelle transparence dans le dépouillement, avec la publication immédiate des résultats alors que la loi permet à Elecam de publier les résultats jusqu’à 14 jours après le scrutin !
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Par ailleurs, le niveau observé de désaffection du public semble rappeller le rejet qui avait été exprimé lors de la présidentielle de 1992, où les réseaux sociaux n’existaient pourtant pas encore…
Le décor est ainsi planté. Et si le « sphinx de Yaoundé » n'est pas prêt de passer la main et a peu de chances d'être battu dans ce scrutin, sa succession est déjà dans tous les esprits tant il est vrai qu'il y va de l'avenir du Cameroun. L'avenir immédiat semble assuré et pratiquement écrit pour 2019... si, du moins, les stades sont rénovés ou finis à temps pour organiser – comme prévu – la fameuse CAN (Coupe d'Afrique des Nations) de football déjà repoussée de janvier à juin 2019.
Vainqueurs de la dernière CAN, organisée en janvier 2017 à Libreville (Gabon), les « Lions indomptables » ont un titre à défendre... et la victoire ne sera pas aussi facile que celle du président Biya ce dimanche. Mais revenons à la compétition électorale, dont dépend aussi l'avenir de ce pays attachant aux fortes potentialités économiques, même si de sérieuses menaces existent toujours sur sa stabilité politique et sa prospérité économique.
Trois « poids lourds » de l'opposition tentent donc leur chance ce week-end pour faire parler d'eux, marquer les esprits et prendre date :
Maurice Kamto, avocat bien connu de 64 ans, qui est à la tête du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), mais qui peut difficillement passer pour un opposant de longue date puisqu'il fut ministre délégué à la Justice de 2004 à 2011 et se doit d'assumer une bonne partie du bilan controversé du Président Biya.
Joshua Osih (49 ans), un entrepreneur qui a grillé la politesse à John Fru Ndi, le leader historique du Social Democratic Front (SDF) dont il porte les couleurs dans ce scrutin, et entend représenter les régions anglophones (du sud-ouest du pays) réclamant plus d'autonomie au pouvoir central.
Akéré Muna, brillant avocat de 66 ans qui vient de lancer le mouvement Now prônant « le changement ici et maintenant » et cherche habilement à se placer au-dessus de la mêlée des vieux partis qui ont fait leur temps et tente de se tenir loin des polémiques partisanes et stériles.
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"Limiter le mandat présidentiel à deux mandats de 5 ans chacun"
Trois hommes pour un fauteuil que ne veut pas lâcher Paul Biya. Mais le chef de l'Etat, qui a su maintenir l'unité du pays malgré plusieurs tempêtes, ne sera pas éternel. Il ne faudrait d'ailleurs pas qu'il lui arrive malheur dans l'immédiat car l'actuel Président du Sénat, Marcel Niat Njifenji, qui est son successeur constitutionnel pour assurer l'interim en cas de vacance du pouvoir, est actuellement hospitalisé en France, et plus précisément à l'Hôpital américain de Neuilly, où il a été admis le 18 septembre dernier à l'âge déjà fort respectable de... 83 ans.
Autant dire que tous les Camerounais – qu'ils aillent voter ce dimanche pour « notre candidat naturel » comme on dit à Yaoundé ou pour « les candidats d'à-côté » ou qu'ils se réfugient encore dans l'abstention – pensent surtout qu'il est grand temps de changer de génération.
Les trois « barons » qui défient le président sortant ont tous des points forts, qu'ils mettent habilement en avant, et quelques faiblesses, qu'il s'évertuent – c'est de bonne guerre – à cacher. mais un seul d'entre eux a l'avantage – et ce n'est pas mince - de ne pas s'identifier purement et simplement à une région ou à une communauté.
Investi le 25 août dernier par le Front populaire pour le Développement (FDP), Me Akéré Muna, qui n'a pas vraiment de parti à lui (et c'est sans doute là son principal point faible) a cependant reçu le soutien appréciable de l'Union des Populations du Cameroun (UPC), du Manidem, de l'Union des Forces Démocratiques du Cameroun (UFDC) et – bien entendu – de quelques personnalités influentes dans le pays à commencer par son frère aîné Bernard Muna, qui s'était lui-même porté candidat lors de la dernière présidentielle de 2011. Son premier objectif est de proposer un changement systématique de gouvernance à travers une forme fédérale de l'Etat et une alternance culturelle.
C'est donc l'homme qui peut créer la seule surprise de ce scrutin et se placer ainsi en « pole position » pour l'après Biya. Si tous les candidats ont battu la campagne, il mérite donc que l'on s'y intéresse un peu plus près. En parcourant, par exemple, les 50 engagements pris et clairement affichés durant cette campagne. Avec une mesure phare : « Limiter le mandat présidentiel à deux mandats de 5 ans chacun ». C'est même le premier point de son programme, mais il est au extrêmement parlant dans un pays où le chef de l'Etat est au pouvoir depuis 36 ans !
"Créer une Commission nationale de lutte contre la corruption"
Me Akéré Muna veut également – c'est le point 3 des réformes institutionnelles envisagées – que « tous les membres du Parlement et du Sénat soient (désormais) élus », alors que le président de la République peut jusqu'à présent en désigner certains. Partisan déclaré dune « Fédération » (Point 4 de ses engagements), il veut également (Point 7) faire « reconnaître par la Constitution le statut de chef de l'opposition » pour en devenir bien évidemment le premier patron reconnu et respecté.
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Avec des idées innovantes, il entend remettre le pays en marche en instaurant par exemple dans la Fonction publique (Point 11) « un système non partisan basé sur la méritocratie » et prône pour faire bouger les lignes (Point 17) la « création d'une Commision nationale indépendante de lutte contre le corruption et le blanchiment d'argent avec protection des lanceurs d'alerte ».
Pour relancer la vie économique du pays, il veut mettre au plus vite en chantier (Point 30) « la construction d'une liaison ferroviaire électrifiée entre Yaoundé et Douala » et souhaite que le Cameroun envisage (Point 46) de « rejoindre la CEDEAO » (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) qui paraît plus dynamique que la CEMAC, sa petite sœur d'Afrique centrale.
Il veut également améliorer la vie quotidienne de ses compatriotes avec « la mise en place de l'assurance maladie universelle » (Point 39), la « réintroduction des bouses d'excellence et d'innovation » dans le système éducatif (Point 44) et la « mise en œuvre de la double citoyenneté » dont pourraient bénéficier bien des Camerounais de la diaspora.
Autant de propositions qui ne sont pour l'heure que des promesses électorales, mais qui pourraient séduire à juste titre nombre d'électeurs de tout bord. Ce dimanche, l'avenir du Cameroun se jouera donc dans les urnes... en un seul tour.